Page:Darien - L’Épaulette, Fasquelle, 1905.djvu/192

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pourquoi ne le serions-nous pas encore, et encore davantage ?… Je me rapproche d’Adèle, tout en parlant. Je lui saisis la main. Elle se laisse prendre un baiser. J’essaie d’en dérober un autre. Elle résiste ; se lève. Je l’enlace ; elle se débat mollement, recule d’abord dans la direction du piano ; puis, plus loin, vers un coin où se trouve un canapé.

Pendant le troisième quart d’heure, Adèle me conjure de la respecter. Et c’est en vain.



Dans le train qui m’a ramené à Paris, j’ai sommeillé et j’ai rêvé, chose bizarre, d’Adèle se promenant au bras du rapporteur du budget de la guerre, Camille Dreikralle. Depuis j’ai encore rêvé d’elle plusieurs fois ; elle fait, du reste, tous ses efforts pour ne point se laisser oublier. Elle m’écrit lettre sur lettre, me sommant de faire mon devoir, de me conduire en galant homme, etc. Je ne réponds pas à ces lettres. Épouser Adèle est impossible. Son père ne lui accorderait sans doute pas la dot réglementaire ; et je ne pourrais lui reconnaître cette dot qu’en me prêtant à des manœuvres que réprouve mon honneur de soldat. Quant à vivre avec elle en dehors du mariage, je ne veux même pas y penser. L’autorité militaire frappe l’officier qui s’obstine dans une liaison irrégulière, incompatible avec le décorum qu’exige l’épaulette ; elle le met en non-activité. Pas de ça.

Pourtant, les objurgations d’Adèle, ses reproches de plus en plus violents, m’énervent. L’agacement, la crispation continuelle de tout mon être, me rendent féroce. Je rêve de guerre, de massacres, de boucheries. Évoqués par une rage impuissante contre les autres et surtout contre moi-même, toutes sortes de besoins cruels montent en moi, ou remontent en moi. « Donnez à l’humanité dix ans de