Il se lève ; semble hésiter. Moi aussi, j’hésite. J’hésite à parler. Je sais à quoi il pense. Il pense qu’il regrette la vie — peut-être une autre vie que celle qu’il a menée, une vie qu’il ne connaît pas ; et peut-être celle qu’il a menée. — Il pense qu’il n’est pas prêt à mourir. Et pourquoi mourrait-il, d’abord ? Pour un mot vide de sens, voilà tout. Pour l’honneur, cet honneur qui n’a eu pour lui, en fait, aucune signification jusqu’à présent ; qui n’a été qu’un vain simulacre, qu’un maléfique épouvantail dont il jouait, et qui se dresse tout à coup, idole implacable et altérée de sang qui réclame la chair des victimes. Il ferait bien mieux de fuir que de se tuer, de se sauver quelque part d’où l’on ne pourrait pas l’extrader et où il connaîtrait peut-être le bonheur. L’homme ne m’est pas sympathique ; mais il serait intéressant, après tout, qu’il vécût afin de déjouer les calculs qu’on a basés sur sa mort, les combinaisons qui vivent déjà de son cadavre. Et il est bien possible que si je disais deux mots… Je les dis.
— Mon général ne croyez-vous pas qu’une nouvelle existence…
— Pas une parole de plus ! s’écrie le duc ; je vous en prie. Ce que vous venez de dire me rappelle à moi-même, à mon devoir. Je dois me sacrifier à l’honneur de l’armée. Je ne reculerai pas.
Soit. Une phrase de Goethe sonne dans ma mémoire. « Dès que ces petits cerveaux ne trouvent pas d’issue, c’est la mort qu’ils conçoivent immédiatement. » Je n’insiste point.
Le général a ouvert un meuble, en a sorti un revolver qu’il charge et place sur la cheminée ; puis des papiers, des livres, des albums, qu’il dépose sur la table.
— Lieutenant, je vous confie le soin de brûler toutes ces choses-là dans la cheminée ; je n’ai pas le temps de les détruire moi-même. Pour moi, je vais dans une grande salle, au bout du corridor, qui était autrefois un atelier