Et, chose curieuse, ce sont précisément ces mesquines réformes qui indisposent contre Boulanger beaucoup des grands chefs militaires. L’armée, bien entendu, n’est nationale que de nom ; c’est un vieux squelette dans un linceul neuf. Et le haut commandement redoute que le squelette, rappelé à la vie, apparaisse hors de son suaire, avec une chair jeune sur sa vieille ossature ; et la moindre évocation, pensent-ils, pourrait produire le miracle. C’est pourquoi il ne faut pas toucher à la tradition, à la routine ; les innovations sont superficielles aujourd’hui ; mais demain il est possible qu’elles deviennent sérieuses ; peut-être voudra-t-on affaiblir la discipline ! Et les grands chefs sentant en péril leurs privilèges, même les plus inutiles et les plus nominaux, flairant une ère nouvelle pour l’armée, se groupent afin de résister. On ne se figure pas avec quelle rage, un homme, une caste, se cramponne à ses immunités, à ses prérogatives. Les employés du fisc ne sont point encore consolés qu’on ait enlevé aux commis des gabelles le droit de pendre les faux-sauniers.
Les grands chefs, donc, déclarent en sourdine que la Défense nationale est compromise. Et les Boulangistes, avec le peuple presque tout entier derrière eux, hurlent que la France ne craint personne, et que son armée est prête.
Et un fait vient soudain souffleter, de sa brutale et silencieuse éloquence, tous ces vantards et tous ces menteurs.
Vous n’avez pas oublié cette piteuse histoire. Vous vous rappelez comment ces deux grandes nations qui depuis seize ans s’observaient par-dessus leur frontière — l’une fière de ses triomphes passés et confiante dans sa