trouva dans l’un de ses prés, à une dizaine de lieues de la frontière, un cheval qui avait appartenu à l’armée française. L’animal était exténué, semblait affolé. Comment il était venu là, avec sa selle tournée sous le ventre, à travers un pays coupé en tous sens de ruisseaux, de canaux et de fossés, ne pouvait guère s’expliquer. Le fermier garda le cheval, jeune et forte bête qui, bien traitée, ne tarda pas à s’attacher à son nouveau maître. C’était un animal patient, docile et sagace, qui semblait fait pour les tâches pacifiques qui étaient devenues les siennes et qui ne paraissait pas avoir gardé le moindre souvenir des événements terrifiants auxquels il avait assisté. Un jour, six années plus tard à peu près, il avait été attelé à une voiture qui devait conduire le fermier et ses enfants à une ducasse des environs. Comme la voiture allait pénétrer dans le village, des jeunes gens firent partir deux ou trois bombes et des pétards. Le cheval, soudain, s’arrêta ; une sueur froide couvrit son corps et il se mit à trembler d’une façon terrible. Rien ne put le décider à avancer. Le fermier dut le reconduire à l’écurie. Une fièvre violente s’empara du pauvre animal ; en dépit de tous les soins, il mourut dans la nuit…
J’ai la curiosité de demander à mon père ce qu’aurait fait le général de Porchemart, à son avis, si le portefeuille de la guerre lui avait été confié.
— Rien de mieux que les autres, répond-il. Il aurait satisfait quelques-uns et mécontenté le plus grand nombre ; il aurait été, ainsi que ses prédécesseurs, l’humble serviteur de ses bureaux… Du reste, Porchemart n’a que ce qu’il mérite. Voilà ce que c’est que d’être égoïste et de vouloir être trop malin. Les documents qu’il a fournis contre Boulanger étaient trop précis, témoignaient d’un esprit trop clairvoyant, trop fouineur ; les gens du Palais-Bourbon n’aiment pas à avoir à leur