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Page:Darien - L’Épaulette, Fasquelle, 1905.djvu/299

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mourir. Vous savez, bien que j’aie toujours de mon mieux caché la chose et la personne, que j’ai une liaison avec une dame. Cette liaison, la première que j’aie jamais eue, a commencé peu de temps avant votre nomination comme officier d’ordonnance. Je dois vous dire aujourd’hui que la dame…

Le général a été interrompu par une quinte de toux vraiment terrible ; et, tout en m’empressant, je devinais facilement la commission dont il allait me charger. Un dernier souvenir à porter, des consolations à prodiguer, etc., etc. Je me voyais déjà moi-même, en mon rôle d’ange consolateur, auprès de la jeune femme probablement très jolie et si longtemps invisible ; je m’écoutais parler, d’une voix insinuante… Le moribond, à ce moment, a pu continuer.

— La dame qui était devenue ma maîtresse avait été tout d’abord la vôtre. Ne vous récriez pas… Ne m’interrompez pas ; j’ai très peu de forces… Elle s’appelle Mlle Adèle Curmont. Ai-je besoin, maintenant, de vous dire pourquoi j’ai demandé qu’on vous attachât à moi ? Vous comprenez à l’instigation de qui j’ai agi. On m’avait tout dit. On vous avait gardé une rancune affreuse. On voulait que je me servisse de ma position pour vous compromettre irrémédiablement, pour vous obliger à quitter l’armée, pour vous arracher votre épaulette. On m’a fait promettre de vous attirer dans un piège. J’ai promis, me réservant de tenir ma parole au cas où vous seriez un sot ; car je pense que les imbéciles doivent être sacrifiés, partout et toujours. Comme je vous ai trouvé intelligent, j’ai gagné du temps, sous des prétextes… Et puis, voyez-vous, il faut autant que possible éviter de se constituer l’agent de représailles féminines. Si la femme croyait à sa vengeance, la désirait sincèrement, elle se vengerait elle-même. Si elle n’agit pas, c’est qu’elle aime celui qu’elle prétend vouloir frapper ; et, par conséquent,