Page:Darien - L’Épaulette, Fasquelle, 1905.djvu/38

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plus intéressants, à mon humble avis, m’ont été apportés hier par l’aumônier du régiment de mon père, qui est venu me faire une visite. L’un des livres dont il m’a fait présent est une histoire de Henri IV qui fait voir clairement combien il fut heureux pour la France que ce grand roi abjurât les erreurs de sa jeunesse ; l’autre est intitulé : Michel le Réfractaire et raconte les aventures d’un honnête jeune homme qui, appelé au service en 1814, se cacha dans un souterrain pendant que les étrangers envahissaient la France et n’en sortit qu’après l’abdication de l’Empereur, pour acclamer Sa Majesté Louis XVIII enfin remise en possession du trône de ses aïeux. Le livre, édité par Mame, qui exalte en termes dithyrambiques la sagesse et la piété du jeune réfractaire, produit sur moi une impression bizarre. Je ne sais vraiment que penser de la conduite du réfractaire, et je me décide à aller demander, à ce sujet, l’opinion de mon grand’père.

Il est précisément en train de jouer aux échecs avec un vieil officier anglais qui est notre voisin, M. Freeman, lorsque j’entre dans le salon. J’expose l’objet de ma visite. M. Freeman ne me laisse pas achever, m’arrache des mains le livre que j’ai apporté, et en parcourt quelques feuilles à la hâte. Alors, il jette violemment le livre sur la table et s’écrie :

— Vraiment ! C’est une indignité ! Voilà un livre qui prêche ouvertement la trahison, la désertion, le mépris de la France et la haine de la liberté, qui calomnie lâchement l’empereur Napoléon ! Et c’est un prêtre, un aumônier de régiment, qui apporte ce livre au fils d’un officier ! Il mérite d’être fusillé. Voilà mon avis !… Falke, dit-il à mon grand-père, gardez ce livre et ne laissez pas cet enfant le lire davantage. Je parlerai de la chose à son père. Quant à moi, veuillez m’excuser pour aujourd’hui. Je suis tellement indigné que j’ai besoin de prendre l’air.