S’il en était autrement, que serait-il besoin de tant de secrets ? Est-ce que le système allemand n’est pas parfaitement connu ! Il est excellent ; donc, on n’a nulle raison de le cacher. Mais à nous, le mystère est indispensable.
— Cette malheureuse situation, dis-je, est connue de nos voisins ; ils sont aussi au courant des mesures presque dérisoires qu’on a prises pour y remédier. Pourtant, ils ne savent rien d’une façon absolue. Des fuites, comme nous disons, des indiscrétions commises nous ne savons par qui, les renseignent de temps en temps sur des points de détail. Mais j’ai souvent pensé à l’hypothèse suivante : un traître d’intelligence supérieure vendant à l’étranger la preuve de notre infériorité, lui livrant la démonstration circonstanciée de notre irrémédiable impuissance à mobiliser rapidement nos troupes ; la trahison découverte ; et cet homme arrêté. Devant la réalisation de cette hypothèse, que feraient le Gouvernement et l’État-Major ?
— Le mieux serait de supprimer l’homme sans bruit, sans dire pourquoi.
— Mais, répliquai-je, de nos jours on ne supprime les gens que par jugement, et il faut dire pourquoi.
— On ne pourrait pas dire pourquoi, reprit Bellevigne ; on dirait tout, excepté la vérité. La vérité que les étrangers connaîtraient tout entière, il faudrait que la France continuât à l’ignorer. On condamnerait l’homme, non pas pour le forfait qu’il aurait commis, mais pour des crimes imaginaires ; et pour cela, on entasserait fraudes sur mensonges, faux sur parjures.
— Oui ; et tout cela en pure perte, probablement. Car l’étranger aurait intérêt à faire briller quelques rayons de la vérité aux yeux du peuple français, à obliger l’État-Major à ouvrir ses coffres-forts et à exhiber quelques-uns de ses mystérieux dossiers. Il aurait intérêt à voir si le peuple français, mis en présence d’indiscutables faits, se