détails sont jolis. Les yeux surtout sont magnifiques, rayonnants de pensée, avec une grande force d’amour scintillant quelquefois dans leur profondeur noire.
Et c’est cette lueur-là, dans ses yeux-là, que j’appréhende et que je hais. L’amour. Mais pas l’amour libre, maître de soi-même et volontairement offert. L’amour catalogué, classé, matriculé ; l’amour dont la jeune fille est la dépositaire soupçonnée, qu’elle a en consigne, mais qui ne lui appartient point réellement et dont elle ne peut disposer. Ah ! cette lueur-là dans ces yeux-là ! L’amie, que je suis joyeux de connaître, que je serais heureux d’avoir toujours, disparaît et fait place à l’épouse garantie sur facture et à vendre à prix fixe. Je n’aurai pas l’amie, que je voudrais ; et l’on m’offre l’épouse, dont je ne veux pas. Cette pensée m’exaspère. La femme — la femme qui est à vendre, qui sera vendue, et que je refuse d’acheter ou de recevoir — se transfigure soudain. Son charme s’évanouit ; sa voix captivante cesse de chanter. Ses imperfections physiques s’affirment, s’imposent, exagérées ; sa laideur croît, touche à l’horreur, devient insupportable. Et les êtres à qui elle appartient, qui disposent d’elle, ceux qui veulent trafiquer de son âme et de sa chair, s’approchent de moi et cherchent à me faire parler. Le général de Lahaye-Marmenteau m’apprend que je ne déplais pas à sa filleule ; Pilastre m’assure qu’il devient jaloux de moi ; Mlle de Lahaye-Marmenteau me laisse entendre que si je ne suis pas absolument hostile au mariage… J’hésite à comprendre. Je refuse de comprendre. Je me promets de ne pas comprendre.
Et pourquoi pas ? Pourquoi reculer devant un marché, hésiter devant un échange ? Toute notre vie est faite de ça. Si la femme a des défauts physiques, n’ai-je pas des vices ? J’apporte mon nom et ma situation sociale ; mais elle apporte son argent et la certitude, pour moi, de protections efficaces. Si elle est à vendre — moi aussi. —