— Vous regrettez votre épaulette, interrompt la baronne au moment où j’hésite à continuer ma phrase. Eh ! bien, pourquoi ne la reprenez-vous pas ? Vous aviez un si bel avenir ! Après tout, quoi qu’on en dise, les gens d’intelligence arrivent toujours à faire leur chemin dans l’armée ; des obstacles peuvent être placés sur leur route, mais un peu de patience leur permet d’en triompher. À propos, je me rappelle que vous étiez lié avec le capitaine de Bellevigne ; savez-vous qu’il doit être nommé commandant le mois prochain ? Son mariage lui a porté bonheur. Étiez-vous encore en France lorsqu’il a épousé Mlle Pilastre ? Un gros sac….. Allons ! où ai-je la tête ? N’avez-vous pas été amoureux de Mlle Pilastre ?….. Voyons, au moins un peu ? Je crois me rappeler quelque chose comme ça. Si je ne me trompe pas, vous avez eu tort de pas pousser votre pointe. La présente Mme de Bellevigne ne vivra pas vieille ; et, dame ! un bel héritage. Ah ! si vous m’aviez consultée !…
Je suis légèrement abasourdi, et ne sais trop que dire. La baronne, évidemment, n’a pas la moindre intention de me convaincre de sa bonne foi ; elle m’indique simplement ce qu’elle préfère me voir faire semblant d’admettre. Elle continue :
— Je me suis toujours souvenue de cette visite que vous m’avez faite… vous rappelez-vous ? au sujet de votre père… C’était tellement singulier ! Nous étions tous deux, au même moment, menacés par Lahaye-Marmenteau. Entre nous, cet homme est toqué, pour ne pas dire plus. Il voulait alors me faire expulser, ainsi que je vous l’ai dit. Huit jours après, nous étions les meilleurs amis du monde. Expliquez des caractères pareils. L’amitié, d’ailleurs, n’a point été éternelle. Nous sommes, à présent, à couteaux tirés. Je m’en console, vous pouvez m’en croire. Mais vraiment, ce guerrier devrait se purger, comme disaient vos poètes du XVIIe siècle, avec quelques grains