vingt ans, ou à peu près, d’ennui, de travail et d’attente, et le reste pour s’amuser. Adèle accepte cette conception comme absolument normale. Elle sait aussi, pour son compte, ce qui l’attend dans la vie ; sa mère, que le travail a usée avant l’âge, ne vivra pas très vieille ; Adèle aura donc à la remplacer et à gagner le plus d’argent possible pour son père et pour son frère.
— Mais, est-ce que ton père et ton frère ne gagnent jamais d’argent ?
— Mon père en gagne quelquefois, quand il fait des affaires avec Me Larbette, le notaire de Preil. Mon frère Albert n’en gagne jamais ; mais il en dépense énormément.
— Pourquoi ?
— Pour arriver. On ne peut pas arriver sans argent ; il le dit toujours.
— Arriver ? À quoi ?
— Arriver à quoi ? Tu ne sais pas ? Mais à être préfet, ministre, président de la République.
J’ai de la difficulté à comprendre. Adèle me donne des explications, essaye de m’apprendre quelles sont les gens qui fréquentent chez elle, et quelles sont leurs opinions et leurs idées ; elle me parle de son père et des amis de son frère qui viennent assez souvent, pendant la belle saison. Ce sont tous des gens qui seront les maîtres de la France avant peu… Alors, que deviendront les officiers ? J’avoue que la question me semble insoluble. Et je fais à Adèle une peinture, aussi consciencieuse que possible, des personnes qui fréquentent chez moi, de leur fidélité à l’empereur, de leurs convictions et de leurs façons de voir. C’est à son tour de ne pas comprendre. Pourtant, elle déclare que les militaires l’intéressent beaucoup. Est-ce que je serai toujours son ami quand je serai officier ? Toujours. Et, pour ne pas être en reste de politesse, je déclare à Adèle que les républicains excitent