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parti-pris, développé dans l’esprit du peuple la passion du jeu avec toutes ses conséquences. Cette passion du jeu est simplement le goût de l’action, le besoin de l’effort naturel à l’âme vigoureuse et toujours jeune du peuple, et que la bourgeoisie, ne pouvant étrangler, a disloqué, défiguré. Sur le galop d’un cheval, sur les jarrets d’un bicycliste, le pauvre risque son misérable salaire, le pain de sa famille, sa vie. Et qu’a-t-il à espérer ? Un gain presque toujours impossible, éphémère en tous cas. Et il ne voudra tenter aucun effort pour sortir de sa malheureuse situation, lorsque les risques sont relativement si minimes et le succès tellement certain ; il refusera de concentrer ses facultés énergiques, éparpillées par les sales pattes de la bourgeoisie, dans la direction d’un but qu’un seul effort viril pourrait atteindre ! Les pauvres semblent avoir à cœur de perpétuer l’état social actuel, dans lequel ils crèvent lamentablement et vivent plus lamentablement encore. Ils paraissent considérer cet état social comme une situation rationnelle, basée sur la concorde ; comme l’expression, aussi parfaite que possible à la pauvre humanité, d’une harmonie préétablie. Ils sont tellement anxieux de ne le troubler en aucune façon qu’ils ont encombré leur route vers le progrès et le bonheur, où quelque chose les appelle malgré eux, d’une multitude d’obstacles d’aspect menaçant et terrible.

Il y a, pensent-ils, des rangées de sphinx épouvantables tout le long du chemin difficile au bout duquel brille l’étoile de l’avenir ; comment résoudre les énigmes qu’ils proposeront ?

Par le silence. Et quant aux sphinx, il faut les jeter à la mer, sans leur répondre, s’ils existent. Mais il n’y a point d’obstacles en travers de la voie qu’il faut suivre, que vous suivrez. Pauvres, il n’y a pas de sphinx non plus. Et s’il y en avait, pas un d’eux n’oserait ouvrir la gueule pour interroger la Misère. Il n’y a que des fantômes, je vous dis ! Des fantômes que vous avez évoqués vous-mêmes. Des légions de spectres, des armées d’épouvantails — des épouvantails que le vent jettera sur le sol