Page:Darien - La Belle France.djvu/62

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nicher le protagoniste indispensable, et lui faire la couverture. Car Mayeux, qui fut si souvent procureur, est surtout procureuse.

En attendant que Mayeux ait réussi dans son honnête entreprise, et d’ailleurs sans grande confiance en lui, la France se satisfait par la contemplation béate de héros défunts, convenablement empaillés, mannequins à resplendissantes défroques, que font évoluer fièrement les vieilles ficelles de l’épopée et du lyrisme. On sait jusqu’à quel point Cyrano s’empara de son cœur. Entre le panache du Gascon, évoquant un passé de fantaisie, et la bosse de Mayeux, qui semble renfermer le secret de l’avenir, la France oublia le présent.

Et encore, non. Pourquoi oublier ? Les Français, en général, sont fort satisfaits de leur état actuel, et le croient digne d’envie. Quelque chose, un sentiment secret, les avertit sourdement de leur impuissance ; mais, malgré tout, ils sont convaincus qu’ils dirigent le monde ; au moins moralement. À part de rares exceptions, ils ne s’intéressent à rien en dehors du cercle restreint de leurs préoccupations routinières ; leur horizon intellectuel est limité par l’Ambigu, le Vaudeville, le Sacré-Cœur et la Bourse. Ils s’imaginent ingénument que l’univers est circonscrit par les mêmes bornes. Paris étant, comme ils disent, le cœur et le cerveau de la France, ils en concluent qu’il doit être, nécessairement, le cœur et le cerveau du monde — la Ville-Lumière. — On les étonnerait démesurément en leur disant que cette lumière pourrait être mise pendant fort longtemps sous le boisseau sans que le globe en souffrît, et même s’en aperçût ; on les surprendrait davantage encore en leur apprenant qu’au point de vue de l’étroitesse d’esprit, du bourgeoisisme, du culte du lieu-commun et de la médiocrité, aucune grande ville étrangère ne pourrait lutter avec Paris. On les scandaliserait en leur prouvant — ce que j’ai l’intention de faire ici — que presque toutes leurs opinions sur eux-mêmes sont absolument injustifiées, et que la place qu’ils assignent à leur pays n’est point du tout celle qui lui revient en réalité.