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tres par une association fraternelle, l’Internationale des Travailleurs. Songez-y ; songez à ce fait formidable : les travailleurs européens, dans le dernier tiers du XIXe siècle, déclarant qu’ils n’ont pas de patrie, et qu’ils n’ont pas de patrie parce qu’ils travaillent. Quel jour jeté sur notre civilisation !

Que les conclusions soient fausses que tirèrent les déshérités de cette triste constatation, je n’en disconviens pas. L’émancipation des travailleurs n’est pas un problème simplement local ou national, certainement ; pourtant, on peut en entreprendre la solution nationalement, pour commencer. Quant à la nécessité de subordonner tout mouvement politique au grand but de l’émancipation économique, elle est plus que discutable ; les événements de 1870, qui suivirent de quatre ans le congrès de Genève, se chargèrent de le prouver. Mais peu importe, pour le moment. Le grand fait subsiste qu’en 1866, les Pauvres affirmaient à l’unanimité qu’ils n’avaient point de patrie.

Ils n’en ont pas ; non. Les rapports de non-possédant à possédant sont pires, souvent, que n’étaient autrefois les rapports d’esclaves à maîtres. L’esclave, d’ailleurs, n’avait pas de patrie ; mais on ne lui disait pas qu’il en avait une. Aujourd’hui, l’on jure aux malheureux qu’ils ont une patrie ; on les engage à en être fiers, et à se montrer dignes d’elle en renonçant à toute autre préoccupation que celle de sa défense. En vérité, ce n’est même point le passé qui triomphe ; c’est quelque chose de plus hideux encore. Jadis, on ne connaissait pas l’immonde hypocrisie qui a cours maintenant. Les vieux spectres n’ont point cessé de hanter notre existence, mais l’imposture nouveau jeu les a drapés dans des linceuls neufs, dont Tartufe tient la queue.

Si les pauvres ont fini par s’apercevoir qu’ils n’avaient pas de patrie, il ne leur est pas encore venu à l’esprit, malheureusement, de chercher à savoir au juste ce que c’est que la Patrie ; et, ayant réussi à le savoir, d’en réclamer une. Car toute la question est là : s’ils admettent, comme le faisait l’Internationale, que les revendications