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troit. J’ai habité l’Angleterre assez longtemps pour savoir à quoi m’en tenir ; et si je dis que j’ai vu cette hypocrisie-là, on pourra me croire. Eh ! bien, je l’ai vue. Je l’ai vue en France. Jamais en Angleterre.

Ce n’est pas ici le lieu d’établir un parallèle entre les deux nations, ni d’expliquer en quoi les sentiments des Anglais à l’égard des pauvres diffèrent de ceux des Français envers les leurs. J’écris : les leurs. En France, en effet, on a ses pauvres. Tout être cossu qui se respecte, mâle ou femelle, dit : « J’ai mes pauvres. » Ainsi qu’il dirait : « J’ai mes esclaves, mes choses, mes guenilles humaines sur lesquelles je puis étaler le clinquant de ma charité. » La misère est sacrée, pour les Français riches. Il est défendu d’y toucher. On pourrait la détruire.

L’Anglais célèbre, tout de même, avait raison. La pauvreté est un crime ; il ne faut pas craindre de le dire, de le répéter. C’est un crime atroce. Crime pour celui qui l’impose. Crime encore plus grand pour celui qui l’accepte. Le riche, en effet, crée le pauvre. Mais c’est le pauvre qui crée le riche.

La misère n’est pas sacrée. Elle est infecte. La misère, c’est la saleté, la vermine, la gale et les punaises ; les poux ; le choléra ; la peste ; la bassesse et le mensonge ; la famine et le meurtre ; l’envie, la lâcheté, les maladies honteuses, l’inceste, la prostitution, le militarisme, la crédulité, la religion ; d’autres ordures, encore ; toutes les ordures ; par dessus tout, la bêtise. Voilà ce que c’est que la misère.

En France, pays de l’artificiel et du trompe-l’œil, la misère aime à se maquiller ; elle a rarement l’aspect sombre, irréconciliable, tragique, qu’on lui voit ailleurs. Quand elle s’est fardée ; quand elle a poudré ses joues creuses de la farine qui manquera à son pain ; quand elle a allongé ses yeux avec le charbon qui demain servira à l’asphyxie ; lorsque, de ses dents longues, elle a mordu ses lèvres pâles, afin de les rougir ; on l’appelle la pauvreté décente. On la célèbre ; on la chante ; toute une littérature lui est consacrée. Il y a les homélies indispensables, d’un bon