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LE VOLEUR

douche ! Laisse-moi rire un peu… As-tu vu avec quelle naïveté vaniteuse il nous a donnée tous les renseignements sur l’agencement intérieur de sa maison ?

— Et s’il n’avait pas parlé ?

— Vous en auriez été quittes, Issacar et toi, pour aller déjeuner chez lui demain matin et passer l’inspection vous-mêmes ; il aurait été riche un jour de plus, voilà tout. Tu comprends, j’étais convaincu que le coffre-fort se trouvait au second étage, et Issacar soutenait qu’il était au troisième. Il avait deviné juste ! Il a le flair, celui-là. C’est dommage qu’il ne veuille rien faire à la dure… Assieds-toi donc ; nous ne pouvons pas commencer avant une heure au moins… Tiens, pour tuer le temps, je vais te faire le portrait de l’industriel à l’instant précis où nous nous occupons de lui ; il se couche à minuit un quart, tous les soirs.

Et Roger-la-Honte dessine, sur une feuille de papier arrachée d’un carnet, une caricature très drôle du pon Pelche, en chemise de nuit et bonnet de coton.

— Tu vois, dit-il, voilà la victime couronnée pour le sacrifice : couronnée d’un casque à mèche. Les fleurs, c’était bon pour la Grèce, mais c’est trop beau pour la Belgique, savez-vous, pour une fois. Ça t’étonne, que je sache ça ?

— Pas du tout. Mais comment as-tu appris à dessiner ?

— Tout seul ; en allant et venant ; j’ai toujours eu beaucoup de goût pour ça, et rien que pour ça. Mes parents ont dépensé pas mal d’argent pour me faire instruire, mais ç’a été de l’argent perdu, ou à peu près. Mes parents ? C’étaient de très braves gens ; très, très honnêtes ; mon père était employé chez un grand architecte, à Paris ; un emploi de confiance, pénible et mal rétribué. Ma mère était la meilleure des mères de famille, laborieuse, droite, économe ; elle a eu du mal, car nous sommes trois enfants, deux