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LE VOLEUR

dans ces cheveux-là, et les lunettes d’or n’iraient pas du tout sur ce grand nez ; ce n’est pas là une tête à faire rire, une figure de cabotin ; c’est la volonté, tenace et muette, maîtresse d’elle-même, qui a mis sa marque sur ce visage et cette tête, si laide qu’elle soit, est une tête d’homme. L’ossature est puissante ; et les lèvres, qui se crispent pour laisser filtrer l’ironie, pourraient s’ouvrir, si elles le voulaient, pour lancer d’effrayants coups de gueule.

— Nous avons fait quelque chose, en effet, dit Roger-la-Honte en ouvrant son sac de voyage et en déposant sur le bureau le paquet de titres que nous apportons de Bruxelles ; vous allez nous donner votre avis là-dessus ; et si vous ne nous offrez pas deux cent mille francs séance tenante, j’irai dire partout que vous ne vous y connaissez pas.

— On ne vous croirait pas, ricane Paternoster. Donnez-vous donc la peine de vous asseoir… Oh ! Oh ! mais vous n’exagérez pas trop ; c’est une belle affaire. À vue de nez et au cours moyen, il y a là plus de quatre cent mille francs. Malheureusement…

— Ah ! dit Roger-la-Honte avec un geste désespéré, voilà que ça commence !…

— Attendez donc que ce soit fini pour vous plaindre, interrompt Paternoster qui continue à feuilleter les valeurs, de ses longs doigts maigres. Vous êtes toujours pressé… Malheureusement, vous avez été faire ce coup-là en Belgique.

— Qui vous l’a dit ? demande Roger-la-Honte.

— Ce sont ces papiers eux-mêmes qui me l’apprennent. Ce sont là des placements de Belge. Jamais un Français, à l’heure actuelle, ne garnirait son portefeuille de cette façon-là. Des tas de valeurs industrielles !

— Elles sont souvent excellentes, dis-je.

— Je ne le nie pas. Je les choisirais de préférence, pour mon compte, si j’avais de l’argent à placer. Mais mes clients ne raisonnent pas comme moi. Il leur faut des fonds d’États, ou des valeurs garanties par les