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LE VOLEUR

magne, il nous souhaite, après ses prières du soir, toutes les prospérités imaginables. Ah ! vous faites le bonheur de bien du monde, sans vous en douter. Et tant de gens éprouvent le besoin de crier haro sur les voleurs ! C’est drôle qu’on se sente obligé, à la fin du XIXe siècle, de prêcher la tolérance…

— Et les personnes qui achètent ces titres n’ont aucune difficulté à en toucher les intérêts ?

— Aucune ; on se garde bien de leur causer le moindre ennui. Cela amènerait des complications qu’il est nécessaire d’éviter dans l’intérêt de l’harmonie universelle, répond Paternoster avec un sourire patriarcal. Pour les valeurs au porteur, cela passe comme une lettre à la poste ; pour les valeurs nominatives, nous opérons, avant livraison, un petit travail de lavage ou de grattage, quelque peu superficiel, mais qui suffit très bien. J’ai deux de mes clercs qui sont très habiles, pour ça ; il est vrai qu’ils ont conquis leurs grades à Oxford ; l’un d’eux, celui qui vous a reçus, est le troisième fils d’un lord ; si ses deux frères, dont la santé est très mauvaise, viennent à mourir, comme c’est probable, il sera Pair d’Angleterre avant peu… Ah ! oui, continue Paternoster en poursuivant son examen des papiers, bien des gens dont les actions ou les obligations ont été dérobées seraient fort étonnés d’apprendre que les coupons continuent à en être touchés régulièrement par un général persan, un grand seigneur japonais, un kaïmakan d’Asie Mineure ou un mandarin à bouton de cristal. C’est pourtant la vérité… C’est deux cent mille francs, je crois, que vous demandiez pour ça ?

Nous faisons, Roger-la-Honte et moi, un signe affirmatif.

— C’est une grosse somme, assure Paternoster en hochant la tête. Quand on pense, ajoute-t-il en posant la main sur la pile de valeurs, que ces papiers représentent autant d’argent, autant de travail, autant de misère !… Mais vous ne vous souciez guère de cela. Vous n’êtes pas sentimentaux. Vous volez tout