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LE VOLEUR

par les puissances, dans les discours du Jour de l’An, de « modestes et utiles serviteurs de l’État. » Non, il n’a point l’air gai, le pauvre homme. Qui sait ? Peut-être se rend-il à un enterrement, en province ; à l’un de ces enterrements pénibles qui ne laissent pas derrière eux la consolation d’un héritage. Affligeante perspective ! En tout cas, le voilà tout prêt à prendre part au service funèbre ; et si les chapeliers de la ville où il se rend comptent sur le prix du crêpe qu’ils lui vendront pour éviter la faillite, ils ont tort, car son chapeau arbore déjà le grand deuil.

Je m’installe dans mon coin, me flattant du doux espoir que mes deux compagnons n’auront point l’idée saugrenue de chercher à entrer en conversation avec moi.

Vaine espérance ! Le Monsieur jovial m’en convainc très rapidement.

— Joli temps pour voyager ! me dit-il avec un sourire : il ne fait pas trop chaud, il ne fait pas trop froid ; on ferait le tour du monde, par un temps pareil. Ne trouvez-vous pas, Monsieur ?

— Oui, beau temps… très beau, dis-je avec un accent britannique très prononcé ; le temps du voyage autour le monde, juste ainsi.

— Monsieur est étranger ? Ah ! ah ! vraiment… Anglais, sans doute ? J’ai vu beaucoup d’Anglais, dans ma vie. J’ai été à Boulogne, une fois, pendant un mois ; il y a tant d’Anglais, à Boulogne !

— Je suis pas du tout un Anglais, dis-je, car je vois poindre un récit des nombreuses aventures du Monsieur jovial avec les fils de la perfide Albion ; je n’aime pas les Anglais ; je suis un Américain.

— Ah ! diable ! j’aurais dû m’en douter ; vous avez tout à fait le type américain ; je me rappelle avoir vu un portrait de Washington… Vous lui ressemblez étonnamment. La France aime beaucoup les États-Unis. Du reste, sans Lafayette… Et vous détestez les Anglais ? Comme je vous comprends ! Ah ! si nous avions encore le Canada !