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LE VOLEUR

J’ai fait mon choix : Balon, le psychologue anarchiste, que sa Cérébralité soldatesque a rendu si célèbre ; et Talmasco, dont le dernier livre a fait tant de bruit. Chez Balon, pour commencer.

Il me reçoit fort aimablement. Son abord n’est pas des plus sympathiques, pourtant ; il donne plutôt l’impression d’un pince-maille agité, d’un fesse-mathieu perplexe, d’un de ces parents pauvres qui meurent de privations sur les cent mille francs qui bourrent leur paillasse, d’un vilain tondeur d’œufs. Mais ses manières sont tellement accueillantes ! Il me met tout de suite à mon aise ; de telle façon, même, que je suis obligé de me déclarer un peu confus.

— La confusion ! dit Balon en souriant. Je ne connais que ça ; c’est quand on prend une chose pour une autre. Ça arrive tous les jours. Ainsi, pour ne vous citer qu’un fait, on me confond à chaque instant, moi, Balon le psychologue, avec M. Talon le sociologue. Qu’y voulez-vous faire ?… Que les gens continuent, si cela les amuse. Je ne suis, moi — et je tiens à le dire bien haut, car je prise avant tout la modestie — qu’un homme de science. Je m’occupe exclusivement des causalités, des modalités, des cérébralités, des mentalités, des…

Oui, oui, je ne l’ignore pas. C’est même étonnant qu’un écrivain puisse s’intéresser à tant d’aussi belles choses. Quelle cervelle il doit avoir, ce Balon ! Et je ne crois pas trouver une meilleure occasion de lui présenter mes félicitations au sujet de sa Cérébralité soldatesque.

— Ne m’étouffez pas sous les compliments, répond-il. Contentez-vous de dire que c’est une œuvre. Un chef-d’œuvre, si vous voulez ; et n’en parlons plus. Ah ! messieurs les militaires ont passé de mauvais quarts d’heure à l’époque où a paru mon livre. Les militaires ! Des pillards sanguinaires, tous !… Des bouchers ! D’horribles bouchers !…

Des bouchers ! Brrr !!!… Il faut l’entendre pro-