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LE VOLEUR

notre jardin de la campagne — un jardin où je ne peux me promener qu’avec précaution, où des allées me sont défendues parce que j’effleurerais des branches et que j’arracherais des fleurs, où les rosiers ont des étiquettes, les géraniums des scapulaires et les giroflées un état-civil à la planchette ; — dans l’herbe et sous les arbres de la propriété de mon grand’père qui pourtant ne demanderait pas mieux, lui, que de me laisser vacciner les hêtres et décapiter les boutons d’or…

Des souvenirs ? Si vous voulez.


Mon père ? j’ai deux souvenirs de lui.

Un dimanche, il m’a emmené à une fête de banlieue. Comme j’avais fait manœuvrer sans succès les différents tourniquets chargés de pavés de Reims, de porcelaines utiles et de lapins mélancoliques, il s’est mis en colère.

— Tu vas voir, a-t-il dit, que Phanor est plus adroit que toi.

Il a fait dresser le chien contre la machine et la lui a fait mettre en mouvement d’un coup de patte autoritaire. Phanor a gagné le gros lot, un grand morceau de pain d’épice.

— Puisqu’il l’a gagné, a prononcé mon père, qu’il le mange !

Il a déposé le pain d’épice sur l’herbe et le chien s’est mis à l’entamer, avec plaisir certainement, mais sans enthousiasme. Des hommes vêtus en ouvriers, derrière nous, ont murmuré.

— C’est honteux, ont-ils dit, de jeter ce pain d’épice à un chien lorsque tant d’enfants seraient si heureux de l’avoir.

Mon père n’a pas bronché. Mais, quand nous avons été partis, je l’ai entendu qui disait à ma mère :

— Ce sont des souteneurs, tu sais.

J’ai demandé ce que c’était que les souteneurs. On ne m’a pas répondu. Alors, j’ai pensé que les souteneurs étaient des gens qui aimaient beaucoup les enfants.