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LE VOLEUR

Ah ! ces poètes pare-étincelles !… Je me demande pourquoi on ne le décore pas tout de suite, celui-là. Peut-être qu’il nous laisserait tranquilles, après. Bon, voici la femme de lettres qui veut me parler. Abandonnez-moi au bourreau… Et à après-demain ; surtout, n’oubliez pas la pince…

Pourquoi l’oublierais-je ? A-t-elle fait plus de mal, à tout prendre, que le cachet du Directeur des Douzièmes Provisoires ? C’est peu probable. Mais les larrons à décrets se réservent le monopole de l’extorsion ; ils le tiennent des mains souveraines du Peuple. Le Peuple, citoyens ! Et nous oserions, nous, les voleurs à fausses clefs, sans investiture et sans mandat, exister à côté d’eux, leur faire concurrence… manger l’herbe d’autrui !… quelle audace ! — et quel tollé, si tous les honnêtes gens qui m’entourent pouvaient, tout d’un coup, apprendre ce que je suis ! — Je me figure surtout la vertueuse indignation de Mouratet, ce Mouratet qui vit au milieu du luxe payé par sa femme, avec de l’argent auquel Vespasien aurait trouvé une odeur. Mais Mouratet ignore tout ! Ce n’est pas une raison, car la bêtise seule est sans excuse ; pourtant…

Pourtant, Mouratet se donne du mal, lui aussi, pour subvenir aux dépenses du ménage ; il fraye avec les coquins mis en carte par le suffrage universel, coquette avec les agioteurs véreux qui font les affaires de la France. Le bénéfice qu’il a retiré, jusqu’ici, de ces tristes pantalonnades, n’est pas énorme, je le veux bien. Mais l’en blâmerai-je ? Dieu m’en garde. Il ne faut point juger de la valeur d’un procédé sur la mesquinerie de ses résultats. Il arrive à tout le monde d’obtenir moins qu’on n’espérait. J’ai volé cent sous.


J’ai apporté la pince ; et Renée m’a présenté aux trois personnes auxquelles son amitié a été si funeste. Nous avons bien ri, tous les deux. Elle m’a présenté, aussi, à d’autres personnes, femmes de représentants