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LE VOLEUR

l’imbécile qui a dit le premier qu’elle avait été constituée par des Forts pour l’oppression des Faibles ? Elle a été établie par des Faibles, et par la ruse, pour l’asservissement des Forts. C’est le Faible qui règne, partout ; le faible, l’imbécile, l’infirme ; c’est sa main d’estropié, sa main débile, qui tient le couteau qui châtre…

Nous arrivons devant la Halle aux Plumes.

— Quel tas de lugubres bavards, là-dedans ! murmure Canonnier, ils vont être gavés, bientôt, et se mettront à débiter leurs mensonges… Il y aurait tout de même quelque chose à faire en politique, vois-tu, ajoute-t-il d’une voix plus basse ; quelque chose de grand, sans doute. Pas un des sacripans gouvernementaux attablés là qui n’ait, comme l’enfant de Sparte, un renard qui lui ronge le ventre… Et quelqu’un qui aurait des documents… Tu comprends, hein ? Tu comprends ?… Quelqu’un à qui on fournirait toutes les preuves… et qui aurait le courage et la force de prendre ça à la gorge… Enfin, nous nous reverrons et nous aurons le temps de causer ; je t’ai déjà dit, n’est-ce pas ? que j’avais l’intention de te voir… Tu reviens à Paris demain matin ?

— Oui.

— Eh ! bien, tu me trouveras demain soir à dix heures, sur la place du Carrousel, devant le monument de Gambetta. Convenu ? Bien. Je te quitte ; je vais aller manger dans un café, près de la gare et, à onze heures, je pars avec ces messieurs. Au revoir.


Neuf heures sonnent au clocher d’une église. Pendant une heure, au moins, je me promène par la ville, songeant à ce que m’a dit Canonnier, à ce qu’il m’a laissé entendre. C’est extraordinaire, que j’aie rencontré cet homme ici ; et plus extraordinaire encore qu’il ait déjà songé à moi pour… Et pourquoi ne serait-ce pas le malfaiteur, au bout du compte,