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LE VOLEUR

gier, sans être vu, derrière le feuillage d’une tonnelle, tout au fond du jardin.

Avec quel battement de cœur j’ai posé le volume sur la table rustique du berceau ! Avec quelles transes d’être surpris avant d’avoir pu boire à ma soif à la source de justice et de vérité, avec quels espoirs inexprimables et quels pressentiments indicibles ! Le voile qui me cache la vie va se déchirer tout d’un coup, je le sens ; je vais savoir le pourquoi et le comment de l’existence de tous les êtres, connaître les liens qui les attachent les uns aux autres, les causes profondes de l’harmonie qui préside aux rapports des hommes, pénétrer les bienfaisants effets de ce progrès que rien n’arrête, de cette civilisation dont j’apprends à m’enorgueillir. Non, Ali-Baba n’a point éprouvé, en pénétrant dans la caverne des quarante voleurs, des tressaillements plus profonds que ceux qui m’agitent en ouvrant le livre sacré ! Non, Ève n’a pas cueilli le fruit défendu, au jardin d’Éden, avec une émotion plus grande ; le Tentateur ne lui avait parlé qu’une seule fois de la saveur de la pomme – et il y a si longtemps, moi, que j’entends chanter la gloire du Code, du Code qui est formel !

Je lis. Je lis avec acharnement, avec fièvre. Je lis le Contrat de louage, le Régime dotal, beaucoup d’autres choses comme ça. Et je ne sens pas monter en moi le feu de l’enthousiasme, et je ne suis point envahi par cette exaltation frénétique que j’attendais aux premières lignes. Mais ça va venir, je le sais, pourvu que je ne me décourage pas, que je persévère, que j’aille jusqu’au bout. Du courage ! « Le mur mitoyen… »

— Qu’est-ce que tu fais là ?

Mon grand-père est devant moi. Il est entré sans que j’aie pu m’en apercevoir, tellement j’étais absorbé.

— Il y a deux heures que je te cherche. Qu’est-ce que tu fais ? Tu lis ? Qu’est-ce que tu lis ?

— Je lis le Code !

À quoi bon nier ? Le livre est là, grand ouvert sur