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LE VOLEUR

sommes indifférents à vos conflits dérisoires. Ce n’est pas notre faute, si l’homme se glorifie de panteler sur une croix d’or, le flanc percé, la tête couronnée d’épines… Ecce homo !… Hé ! qu’il reste à son gibet, si cela lui fait plaisir ! Comme au supplicié du Golgotha, nous lui disons : « Sauve-toi toi-même. » Et nous lui apportons du fiel et du vinaigre sur une éponge, s’il a soif, au bout du glaive de la Loi !

— Et, dites-moi, Issacar, n’avez-vous pas les doigts, en ce moment, sur la poignée de ce glaive-là ?

— Toute la main, répond Issacar. Je ne veux pas vous le cacher… Vous savez que le ministère a démissionné hier ?

— Certes. Les camelots se sont chargés de me l’apprendre ; mes oreilles en souffrent encore.

— C’est Courbassol qui va être nommé président du Conseil, demain ou après-demain au plus tard ; l’Élysée essaye aujourd’hui une ou deux combinaisons, mais ce n’est pas sérieux… Vous me direz que Courbassol ne l’est guère non plus ; mais ça n’a pas la moindre importance. Les hommes mêmes remarquables dans la conduite de leurs affaires privées ont leurs facultés submergées, dès qu’ils arrivent au pouvoir, sous un flot de cynisme politique, d’indifférence au bien général, d’incompréhension absolue, qui a quelque chose d’effrayant. Mais du moment qu’ils ont de la poigne, comme on dit, la France est satisfaite ; en fait de liberté, elle n’a jamais connu que la liberté des mœurs, et elle demande à continuer… Que vous disais-je ? Ah ! oui… Dès que Courbassol sera installé, on procède à l’épuration générale du personnel. C’est décidé. On nettoie les écuries d’Augias…

— Ah ! et vous aurait-on laissé entrevoir une place au râtelier, après le nettoyage ?

— Oui ; on m’a promis de me nommer préfet.

— Vraiment ! Mes compliments. Mais qu’avez-vous fait pour mériter de pareilles faveurs ?

— J’ai rendu des services, dit Issacar… des ser-