Page:Darien - Le Voleur, Stock, 1898.djvu/30

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
13
LE VOLEUR

ras du sol, lui flairant les talons d’un air bien dégoûté, serrant funèbrement sa queue entre ses pattes — comme les soldats portent leur fusil le canon en bas, aux enterrements officiels.

Je n’ai jamais oublié ça.


Mais à quoi bon se souvenir, quand on est heureux ? Car je suis heureux. Je ne dis pas que je suis très heureux, car j’ignore quel est le superlatif du bonheur. Je ne le saurai que plus tard, quand il sera temps. Tout vient à point à qui sait attendre.

J’aime mes parents. Je ne dis pas que je les aime beaucoup — je manque de point de comparaison. — Je les considère, surtout, comme mes juges naturels (l’œil dans le triangle, vous savez) ; c’est pourquoi je ne les juge point. Je pense qu’ils ont, père, mère et grand-père, exactement les mêmes idées — qu’ils expriment ou défendent, les uns avec un acharnement légèrement maladif, l’autre avec une ironie un peu nerveuse. Je suis porté à croire que ce qu’ils préfèrent en moi, c’est eux-mêmes ; mais tous les enfants en savent autant que moi là-dessus.

Je respecte mes professeurs. Même, je les aime aussi. Je les trouve beaux.

On m’a tellement dit que je serai riche, que j’ai fini par le savoir. Je travaille pour me rendre digne de la fortune que j’aurai plus tard ; c’est toujours plus prudent, dit mon grand-père. Mais, en somme, si je me conduis bien, c’est que ça me fait plaisir. Car, si je me conduisais mal, mes parents ne pourraient pas me déshériter complètement. Le Code est formel.