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LE VOLEUR

J’apprends que la fortune de mon oncle est encore considérable. Me  Tabel-Lion parle à demi-voix. Sa bouche s’ouvre du nord-nord-ouest au sud-sud-est. Beaucoup d’officiers ministériels ont de ces bouches en diagonale. J’ignore pourquoi.


L’enterrement. Le corbillard des pauvres se dirige mélancoliquement vers le Père Lachaise. Quelques voitures seulement, derrière. Je suis dans la première avec l’abbé Lamargelle qui a endossé des habits civils pour la circonstance ; ils ne lui vont pas mal du tout. Les autres voitures contiennent une dizaine de vieux amis de mon oncle, vieux voleurs probablement, et deux ou trois dames parmi lesquelles Geneviève, en grand deuil. Je n’ai pu la dissuader de venir. Même, ce matin, elle m’a fait une scène.

— C’est honteux ! m’a-t-elle dit. Tu hérites de plus d’un million et tu fais faire à ton oncle des funérailles civiles ! Oui, je sais bien que c’est toi qui as fabriqué le testament. Tout ça, c’est pour faire des économies. Ah ! si ce prêtre qui est ton ami, l’abbé Lamargelle, savait ce que tu es ! S’il savait !…

Je l’ai laissée dire. Il y a encore de bons sentiments, chez cette femme-là.

— L’immortalité de l’âme ! me dit l’abbé. Les pauvres, même, qui voudraient que l’agonie de l’existence ne finît pas au tombeau ! qui portent dignement leur misère — dignement ! ça se porte dignement, la misère ! — dans l’espoir d’une vie à venir ! L’exploitation leur brocante le royaume des cieux et ils se laissent faire… Mais du moment qu’ils ne peuvent pas comprendre… vous savez que les imbéciles n’admettent que les choses très compliquées… Savez-vous quelle est la base de la propriété, la vraie base ? C’est la croyance à l’immortalité de l’âme. Méditez ça, quand vous aurez le temps.

Nous arrivons au cimetière. Le caveau de famille est ouvert, laissant apercevoir ses cases, les unes pleines, les autres vides. J’ai mon tiroir là. Il faudra