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LE VOLEUR

moins, et le tonnerre de Dieu ne m’en empêcherait pas. J’espère que tu ne me quitteras pas ; tu t’ennuieras un peu moins que tu ne l’as fait jusqu’ici…

— Non, non ! crie Charlotte. Ne parle pas ainsi ! Ce n’est pas fait pour toi, cela ! je ne veux pas…

— Pourquoi donc n’est-ce pas fait pour moi ? Parce que les lois, qui ont permis qu’on me dépouillât depuis, ne m’ont pas fait naître pauvre ? Parce que j’ai été enfermé au collège au lieu d’être interné dans la maison de correction ? Parce que j’ai appris des ignominies dans des livres, derrière des murs, au lieu de faire l’apprentissage du vice en vagabondant par les rues ? Je ne comprends pas ces raisons-là. Parce qu’on m’a fait donner assez d’instruction et qu’on m’a laissé assez d’argent pour me permettre d’agir en larron légal, comme ton père ? Je ne veux pas être un larron légal ; je n’ai de goût pour aucun genre d’esclavage. Je veux être un voleur, sans épithète. Je vivrai sans travailler et je prendrai aux autres ce qu’ils gagnent ou ce qu’ils dérobent, exactement comme le font les gouvernants, les propriétaires et les manieurs de capitaux. Comment ! j’aurai été dévalisé avec la complicité de la loi, et même à son instigation, et je n’oserai pas renier cette loi et reprendre par la force ce qu’elle m’a arraché ? Comment ! toi qui es une femme et qui seras mère demain, tu peux être empoignée ce soir par des gendarmes que ton père aura lancés contre toi et enfermée jusqu’à vingt-et-un ans comme une criminelle, avec l’interdiction, après, de te marier avant l’expiration des interminables délais légaux ! et tu hésiteras à fouler aux pieds toutes les infamies du Code ?

— Non, dit Charlotte, je n’hésiterai pas. Je suis ta femme et je suis prête à te suivre. Mais… Non, je t’en prie, ne fais pas cela. Je t’en prie ; pour moi, pour… l’enfant… et surtout pour toi. Oh ! j’aurais tant donné pour que tu ne l’eusses jamais fait ! et je te supplie de ne plus le faire. N’est-ce pas, tu voudras bien ?