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Page:Darien - Le Voleur, Stock, 1898.djvu/82

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LE VOLEUR

— Oui ; pour affaires ; un voyage qui durera quelque temps, je pense.

— Vous ne m’étonnez pas ; votre oncle est un homme aimable et Mlle Charlotte est absolument charmante ; mais les événements de ces temps derniers, ces malheureux événements, ont influé quelque peu sur l’aménité de leur caractère ; et quand on ne trouve plus dans la famille les joies profondes auxquelles elle vous a habitué… Ah ! ç’a été bien déplorable, ce qui est arrivé. Pour ma part, je n’ai aucune honte à l’avouer, j’y ai perdu une petite commission qui devait m’être versée au moment du mariage. Enfin… Les voies de la Providence sont insondables. M. Édouard Montareuil est bien affecté.

— J’espère qu’il se consolera, avec le temps.

— Je l’espère aussi. Le temps… les distractions… Je crois savoir qu’il se fait inoculer ; je l’ai rencontré l’autre jour sur la route de l’Institut Pasteur. La science est une grande consolatrice. Quant à vous, vous préférez les voyages.

— Oh ! voyages d’affaires…

— Oui ; des affaires au loin ; l’isolement. Vous avez sans doute raison. Beaucoup de gens éprouvent le besoin de la solitude, de temps à autre :


Quiconque est loup, agisse en loup ;
C’est le plus certain de beaucoup ;


comme le dit le fabuliste, continue l’abbé en me plongeant subitement ses regards dans les yeux. Allons ! je crains de manquer mon train. Au revoir, cher monsieur. Nous nous retrouverons, j’espère ; je fais même mieux que de l’espérer, il n’y a que les montagnes, hé ! hé ! qui ne se rencontrent pas. Je vous souhaite un excellent voyage. — Prenez garde au marchepied.

Par la portière du wagon, j’aperçois sa haute silhouette noire qui disparaît au coin d’une porte. Était-il venu pour prendre un train — ou pour me voir ? Et alors, pourquoi ?