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LE VOLEUR

— C’est suffisant, en effet.

— Partant donc de ce point que l’honnête homme n’est pas un mythe, mais une simple exception, nous nous trouvons en face d’une masse énorme dont les éléments, absolument analogues au point de vue physiologique ou psychologique, ne se différencient qu’en raison de leur agencement au point de vue social. Pour diviser en deux parties les unités malfaisantes qui composent cette masse, on est obligé de prendre le Code pénal pour base d’appréciation.

— Bien entendu ; le Code, c’est la conscience moderne.

— Oui. Anonyme et à risques limités… La première partie est composée, d’abord, de criminels actifs, dont la loi ignore, conseille ou protège les agissements, et qui peuvent se dire honnêtes par définition légale ; puis, de criminels d’intention auxquels l’audace ou les moyens font défaut pour se comporter habituellement en malfaiteurs patentés, et dont les tentatives équivoques sont plutôt des incidents isolés qu’une règle d’existence ; ceux-là aussi peuvent se dire honnêtes. Cette catégorie tout entière a pour caractéristique le respect de la légalité. Les uns sont toujours prêts à commettre tous les actes contraires à la morale, soit idéale, soit généralement admise, pourvu qu’ils ne tombent point sous l’application directe d’un des articles de ce Code qu’ils perfectionnent sans trêve. Les autres, tout en les imitant de leur mieux, de loin en loin et dans la mesure de leurs faibles facultés, ne sont en somme que des dupes grotesques et de lamentables victimes qui ne consentent, pourtant, à se laisser dépouiller que par des personnages revêtus à cet effet d’une autorité indiscutable et qualifiés de par la loi. Classes dirigeantes et masses dirigées. De par la loi, Monsieur, de par la loi ! Vous savez quelle est la conséquence d’un pareil ordre de choses. Égoïsme meurtrier en haut, misère morale et physique en bas ;