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LAPINS DOMESTIQUES.

comme réciproquement fertiles, et on peut établir une gradation parfaite depuis les grandes races domestiques à oreilles énormément développées jusqu’à l’espèce sauvage. L’ancêtre primitif doit avoir été un animal fouisseur, habitude que ne possède, autant que j’ai pu le savoir, aucune autre espèce du grand genre Lepus. On ne connaît en Europe avec certitude que l’existence d’une seule espèce sauvage ; mais le lapin du mont Sinaï (si c’est bien un lapin) et celui d’Algérie offrent de légères différences ; aussi quelques auteurs les ont-ils considérés comme des espèces distinctes[1]. Mais ces légères différences nous aideraient peu à expliquer celles beaucoup plus considérables qui caractérisent les diverses races domestiques. Si celles-ci descendent de deux ou plusieurs espèces voisines, toutes, à l’exception du lapin commun, auraient été exterminées à l’état sauvage, ce qui est fort improbable, à en juger par la ténacité avec laquelle cet animal maintient son terrain. Nous pouvons, par ces diverses raisons, conclure avec assurance que toutes les races domestiques sont les descendants de l’espèce sauvage commune. Mais, d’après ce que nous avons appris du succès d’un récent croisement du lièvre et du lapin[2], il est possible, quoique improbable, vu la difficulté d’opérer le premier croisement, que quelques-unes des grandes races qui sont colorées comme le lièvre aient pu être modifiées par des croisements avec ce dernier animal. Néanmoins les différences principales entre les squelettes des diverses races domestiques ne peuvent d’ailleurs pas, comme nous le verrons, être dérivées d’un croisement avec le lièvre.

Plusieurs races transmettent leurs caractères avec plus ou moins de constance. Tout le monde a vu ces lapins à immenses oreilles qu’on expose chez nous ; on élève sur le continent diverses sous-races voisines ; ainsi celle qu’on nomme andalouse, qui possède une grande tête avec un front arrondi, et atteint une taille plus forte que toute autre ; une autre grande race de Paris, à tête carrée, nommée rouennaise ; le lapin patagonien, dont la tête est grande, ronde et les oreilles très-courtes. Je n’ai pas vu toutes ces races, mais je doute qu’elles

  1. Gervais, Hist. nat. des Mammifères, t. I, p. 292.
  2. Voir le mémoire du Dr  Broca dans Journal de Physiol. de Brown. Sequard, vol. II, p. 367.