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FROMENT.

on cultivait cinq sortes de froment et trois d’orge, nous serions obligés de considérer ces formes comme des espèces distinctes. Mais, comme le remarque Heer, même à l’époque des habitations lacustres, l’agriculture avait déjà fait de grands progrès, car outre les dix céréales, on cultivait encore les pois, les pavots, le lin, et probablement la pomme. On peut aussi inférer d’une variété de froment dite égyptienne, et de ce qu’on sait du pays d’origine du Panicum et de la Setaria, ainsi que de la nature des herbes qui croissaient parmi les récoltes, que les habitants lacustres avaient, ou conservé des rapports commerciaux avec quelques peuples méridionaux, ou étaient eux-mêmes comme colons, venus du Midi.

Loiseleur-Deslongchamps[1] a objecté que, puisque nos céréales ont été fortement modifiées par la culture, il aurait dû en être de même des herbes qui croissent habituellement mélangées avec elles. Mais cet argument montre combien on méconnaît le principe de la sélection. M. H. C. Watson et le professeur Asa Gray, assurent que ces herbes n’ont pas varié, ou du moins ne varient pas beaucoup actuellement ; mais, qui peut prétendre qu’elles ne varient pas autant que les plantes individuelles d’une même sous-variété de froment ? Nous avons déjà vu que des variétés de froment pures, cultivées dans le même champ, présentent de légères variations qu’on peut trier et propager séparément ; et qu’il apparaît occasionnellement, des variations plus prononcées, qui, ainsi que l’a montré M. Sheriff, méritent d’être propagées en grand. L’argument tiré de la constance des mauvaises herbes, sous l’influence d’une culture non intentionnelle, n’a aucune valeur, tant qu’on n’aura pas donné à la variabilité et à la sélection de ces herbes, l’attention qu’on a apportée à la céréale. La sélection nous donne l’explication du pourquoi les organes de la végétation diffèrent si peu dans les diverses variétés cultivées du froment ; car une plante qui apparaîtrait avec des feuilles particulières, n’attirerait aucunement l’attention, si en même temps les grains de blé n’étaient pas supérieurs en grosseur ou en qualité. La sélection des grains de blé était fortement recommandée dans les temps anciens par Columelle et Celsus, car, comme le dit

  1. O. C., p. 94.