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Page:Darwin - De la variation des animaux et des plantes sous l'action de la domestication, tome 2, 1868.djvu/234

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INCONSCIENTE.

été intentionnelle ; on peut, avec probabilité, l’attribuer à ce que les divers éleveurs ont porté leur attention sur des points différents. De même, en 1810, la race de porcs du Berkshire avait beaucoup changé depuis l’année 1780 ; et depuis 1810, deux sous-races distinctes au moins ont porté ce même nom[1]. Si nous réfléchissons à la rapidité avec laquelle tous les animaux se multiplient, et que chaque année il faut en détruire et en conserver pour la reproduction, lorsque c’est le même éleveur qui, pendant un long laps de temps, fait toujours le choix des individus à conserver, il est à peu près impossible que ses dispositions individuelles n’influent pas sur les caractères de ses produits, et n’impriment ainsi un cachet particulier à son troupeau, sans aucune intention préconçue de sa part de modifier la race, ou de créer une branche nouvelle.

La sélection inconsciente, dans le sens le plus strict du terme, c’est-à-dire, la conservation des animaux les plus utiles, et la destruction, ou tout au moins l’abandon, de ceux qui le sont moins, sans aucun souci de l’avenir, a dû se pratiquer dès les temps les plus reculés, et chez les nations les plus barbares. Les sauvages ont souvent à souffrir de la famine, et sont quelquefois chassés de leur pays par la guerre. On ne peut douter que, dans ces cas, ils ne doivent chercher à sauver leurs animaux les plus utiles. Lorsque les natifs de la Terre de Feu sont fortement poussés par le besoin, ils tuent leurs vieilles femmes pour les manger, plutôt que leurs chiens, en disant que les vieilles femmes ne servent à rien, tandis que les chiens prennent les loutres ; et le même sentiment les portera à conserver leurs meilleurs chiens, lorsqu’ils seront encore plus fortement pressés par le besoin. M. Oldfield qui a beaucoup étudié les indigènes d’Australie, m’informe qu’ils sont tous très-contents de pouvoir se procurer un chien européen, et on cite plusieurs cas connus d’un père ayant tué son enfant, pour que la mère pût allaiter le précieux animal. Comme il faut aux Australiens pour chasser les kanguroos et les opossums, et aux Fuégiens pour attraper le poisson et les loutres, des chiens différents, la conservation dans chacun de ces pays des ani-

  1. H. Von Nathusius, Vorstudien… Schweineschädel, 1864, p. 140.