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Page:Darwin - De la variation des animaux et des plantes sous l'action de la domestication, tome 2, 1868.djvu/70

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MONSTRUOSITÉS.

par ses différents degrés de développement dans des plantes que j’ai examinées, et qui provenaient de croisements entre la variété pélorique du muflier et la forme commune. J’ai eu encore dans mon jardin un Galeobdolon luteum pélorique, qui avait cinq pétales égaux, tous rayés comme l’inférieur ordinaire, et portait cinq étamines égales au lieu de quatre inégales. M. R. Keely qui m’a envoyé cette plante, m’informe que ses fleurs varient beaucoup, et peuvent présenter de quatre à six lobes sur leur corolle et de trois à six étamines[1]. Or, comme les membres des deux grandes familles auxquelles appartiennent l’Antirrhinum et le Galeobdolon, sont normalement pentamères, ayant quelques parties confluentes et d’autres manquant, nous ne devons pas regarder la sixième étamine et le sixième lobe de la corolle comme dus à un retour, pas davantage que les pétales supplémentaires des fleurs doubles dans ces deux mêmes familles. Pour la cinquième étamine de l’Antirrhinum pélorique, le cas est différent, parce qu’elle est due au redéveloppement d’un rudiment toujours présent, et qui, en ce qui concerne les étamines, nous révèle probablement l’état de la fleur à quelque époque ancienne. Il serait difficile d’admettre qu’après avoir subi un arrêt de développement à un âge embryonnaire très-peu avancé, les quatre autres étamines et les pétales eussent pu atteindre la perfection de leur couleur, de leur conformation et de leurs fonctions, si ces organes n’avaient, à une époque antérieure, normalement passé par des phases de croissance analogues. Il me paraît donc probable que l’ancêtre du genre Antirrhinum doit, à une époque reculée, avoir porté cinq étamines et des fleurs ressemblant, dans une certaine mesure, à celles que produisent actuellement ses formes péloriques.

On a enfin consigné beaucoup de cas de fleurs, qu’on ne considère pas généralement comme péloriques, et dans lesquelles certains organes normalement peu nombreux se sont trouvés accidentellement augmentés en nombre. Une telle augmentation ne pouvant être due ni à un arrêt de développement, ni au redéveloppement de parties rudimentaires, puisqu’il n’en existe pas, et ces parties additionnelles rapprochant d’ailleurs la plante des autres formes qui sont ses voisines naturelles, elles doivent être probablement considérées comme des retours à une condition primordiale.


Ces divers faits nous montrent d’une manière intéressante combien certains états anormaux sont intimement connexes ; les arrêts de développement déterminant l’atrophie partielle ou la suppression totale de certaines parties, — le redéveloppement de parties actuellement dans un état plus ou moins rudimentaire, — la réapparition d’organes dont on ne peut découvrir la moindre trace ; — ajoutons encore, dans les cas d’animaux,

  1. Pour d’autres cas de six divisions dans les fleurs péloriques des Labiées et Scrophulariacées, voir Moquin-Tandon, Tératologie, p. 192.