Page:Darwin - L’Origine des espèces (1906).djvu/201

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
  Rareté des transitions. 183

du nord au sud, on rencontre ordinairement, à des intervalles successifs, des espèces très voisines, ou espèces représentatives, qui occupent évidemment à peu près la même place dans l’économie naturelle du pays. Ces espèces représentatives se trouvent souvent en contact et se confondent même l’une avec l’autre ; puis, à mesure que l’une devient de plus en plus rare, l’autre augmente peu à peu et finit par se substituer à la première. Mais, si nous comparons ces espèces là où elles se confondent, elles sont généralement aussi absolument distinctes les unes des autres, par tous les détails de leur conformation, que peuvent l’être les individus pris dans le centre même de la région qui constitue leur habitat ordinaire. Ces espèces voisines, dans mon hypothèse, descendent d’une souche commune ; pendant le cours de ses modifications, chacune d’elles a dû s’adapter aux conditions d’existence de la région qu’elle habite, a dû supplanter et exterminer la forme parente originelle, ainsi que toutes les variétés qui ont formé les transitions entre son état actuel et ses différents états antérieurs. On ne doit donc pas s’attendre à trouver actuellement, dans chaque localité, de nombreuses variétés de transition, bien qu’elles doivent y avoir existé et qu’elles puissent y être enfouies à l’état fossile. Mais pourquoi ne trouve-t-on pas actuellement, dans les régions intermédiaires, présentant des conditions d’existence intermédiaires, des variétés reliant intimement les unes aux autres les formes extrêmes ? Il y a là une difficulté qui m’a longtemps embarrassé ; mais on peut, je crois, l’expliquer dans une grande mesure.

En premier lieu, il faut bien se garder de conclure qu’une région a été continue pendant de longes périodes, parce qu’elle l’est aujourd’hui. La géologie semble nous démontrer que, même pendant les dernières parties de la période tertiaire, la plupart des continents étaient morcelés en îles dans lesquelles des espèces distinctes ont pu se former séparément, sans que des variétés intermédiaires aient pu exister dans des zones intermédiaires. Par suite de modifications dans la forme des terres et de changements climatériques, les aires marines actuellement continues doivent avoir souvent existé, jusqu’à une époque récente, dans un état beaucoup moins uniforme et beaucoup moins continu qu’à présent. Mais je n’insiste pas sur ce moyen d’éluder la diffi-