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186 Difficultés de la théorie.  

aux empiètements des formes très voisine qui l’entourent de tous côtés. Il est, d’ailleurs, une considération bien plus importante : c’est que, pendant que s’accomplissent les modifications qui, pensons-nous, doivent perfectionner deux variétés et les convertir en deux espèces distinctes, les deux variétés, qui sont numériquement parlant les plus fortes et qui ont un habitat plus étendu, ont de grands avantages sur la variété intermédiaire qui existe en petit nombre dans une étroite zone intermédiaire. En effet, les formes qui comprennent de nombreux individus ont plus de chance que n’en ont les formes moins nombreuses de présenter, dans un temps donné, plus de variations à l’action de la sélection naturelle. En conséquence, les formes les plus communes tendent, dans la lutte pour l’existence, à vaincre et à supplanter les formes moins communes, car ces dernières se modifient et se perfectionnent plus lentement. C’est en vertu du même principe, selon moi, que les espèces communes dans chaque pays, comme nous l’avons vu dans le second chapitre, présentent, en moyenne, un plus grand nombre de variétés bien tranchées que les espèces plus rares. Pour bien faire comprendre ma pensée, supposons trois variétés de moutons, l’une adaptée à une vaste région montagneuse, la seconde habitant un terrain comparativement restreint et accidenté, la troisième occupant les plaines étendues qui se trouvent à la base des montagnes. Supposons, en outre, que les habitants de ces trois régions apportent autant de soins et d’intelligence à améliorer les races par la sélection ; les chances de réussite sont, dans ce cas, toutes en faveur des grands propriétaires de la montagne ou de la plaine, et ils doivent réussir à améliorer leurs animaux beaucoup plus promptement que les petits propriétaires de la région intermédiaire plus restreinte. En conséquence, les races améliorées de la montagne et de la plaine ne tarderont pas à supplanter la race intermédiaire moins parfaite, et les deux races, qui étaient à l’origine numériquement les plus fortes, se trouveront en contact immédiat, la variété ayant disparu devant elles.

Pour me résumer, je crois que les espèces arrivent à être assez bien définies et à ne présenter, à aucun moment, un chaos inextricable de formes intermédiaires :