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214 Difficultés de la théorie.  

trop positif même dans ce cas, car nous savons que l’existence et la distribution du bétail et d’autres animaux dans l’Amérique méridionale dépendent absolument de leur aptitude à résister aux attaques des insectes ; de sorte que les individus qui ont les moyens de se défendre contre ces petits ennemis peuvent occuper de nouveaux pâturages et s’assurer ainsi de grands avantages. Ce n’est pas que, à de rares exceptions près, les gros mammifères puissent être réellement détruits par les mouches, mais ils sont tellement harassés et affaiblis par leurs attaques incessantes, qu’ils sont plus exposés aux maladies et moins en état de se procurer leur nourriture en temps de disette, ou d’échapper aux bêtes féroces.

Des organes aujourd’hui insignifiants ont probablement eu, dans quelques cas, une haute importance pour un ancêtre reculé. Après s’être lentement perfectionnés à quelque période antérieure, ces organes se sont transmis aux espèces existantes à peu près dans le même état, bien qu’ils leur servent fort peu aujourd’hui ; mais il va sans dire que la sélection naturelle aurait arrêté toute déviation désavantageuse de leur conformation. On pourrait peut-être expliquer la présence habituelle de la queue et les nombreux usages auxquels sert cet organe chez tant d’animaux terrestres dont les poumons ou vessies natatoires modifiés trahissent l’origine aquatique, par le rôle important que joue la queue, comme organe de locomotion, chez tous les animaux aquatiques. Une queue bien développée s’étant formée chez un animal aquatique, peut ensuite s’être modifiée pour divers usages, comme chasse-mouches, comme organe de préhension, comme moyen de se retourner, chez le chien par exemple, bien que, sous ce dernier rapport, l’importance de la queue doive être très minime, puisque le lièvre, qui n’a presque pas de queue, se retourne encore plus vivement que le chien.

En second lieu, nous pouvons facilement nous tromper en attribuant de l’importance à certains caractères et en croyant qu’ils sont dus à l’action de la sélection naturelle. Nous ne devons pas perdre de vue les effets que peuvent produire l’action définie des changements dans les conditions d’existence, — les prétendues variations spontanées qui semblent dépendre, à un faible degré, de la nature des conditions ambiantes, — la ten-