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  De la beauté. 219

un type de beauté absolument différent. Si les beaux objets n’avaient été créés que pour le plaisir de l’homme, il faudrait démontrer qu’il y avait moins de beauté sur la terre avant que l’homme ait paru sur la scène. Les admirables volutes et les cônes de l’époque éocène, les ammonites si élégamment sculptées de la période secondaire, ont-ils donc été créés pour que l’homme puisse, des milliers de siècles plus tard, les admirer dans ses musées ? Il y a peu d’objets plus admirables que les délicates enveloppes siliceuses des diatomées : ont-elles donc été créées pour que l’homme puisse les examiner et les admirer en se servant des plus forts grossissements du microscope ? Dans ce dernier cas, comme dans beaucoup d’autres, la beauté dépend tout entière de la symétrie de croissance. On met les fleurs au nombre des plus belles productions de la nature ; mais elles sont devenues brillantes, et, par conséquent, belles, pour faire contraste avec les feuilles vertes, de façon à ce que les insectes puissent les apercevoir facilement. J’en suis arrivé à cette conclusion, parce que j’ai trouvé, comme règle invariable, que les fleurs fécondées par le vent, n’ont jamais une corolle revêtue de brillantes couleurs. Diverses plantes produisent ordinairement deux sortes de fleurs : les unes ouvertes et aux couleurs brillantes de façon à attirer les insectes, les autres fermées, incolores, privées de nectar, et que ne visitent jamais les insectes. Nous en pouvons conclure que si les insectes ne s’étaient jamais développés à la surface de la terre, nos plantes ne se seraient pas couvertes de fleurs admirables et qu’elles n’auraient produit que les tristes fleurs que nous voyons sur les pins, sur les chênes, sur les noisetiers, sur les frênes, sur les graminées, les épinards, les orties, qui toutes sont fécondées par l’action du vent. Le même raisonnement peut s’appliquer aux fruits ; tout le monde admet qu’une fraise ou qu’une cerise bien mûre est aussi agréable à l’œil qu’au palais ; que les fruits vivement colorés du fusain et les baies écarlates du houx sont d’admirables objets. Mais cette beauté n’a d’autre but que d’attirer les oiseaux et les insectes pour qu’en dévorant ces fruits ils en disséminent les graines ; j’ai, en effet, observé, et il n’y a pas d’exception à cette règle, que les graines sont toujours disséminées ainsi quand elles sont enveloppées d’un fruit quelconque (c’est-à-dire qu’elles se trouvent enfouies dans une masse char-