Page:Darwin - L’Origine des espèces (1906).djvu/240

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
222 Difficultés de la théorie.  

C’est là, sans contredit, le comble de la perfection qui peut se produire à l’état de nature. Les productions indigènes de la Nouvelle-Zélande, par exemple, sont parfaites si on les compare les unes aux autres, mais elles cèdent aujourd’hui le terrain et disparaissent rapidement devant les légions envahissantes de plantes et d’animaux importés d’Europe. La sélection naturelle ne produit pas la perfection absolue ; autant que nous en pouvons juger, d’ailleurs, ce n’est pas à l’état de nature que nous rencontrons jamais ces hauts degrés. Selon Müller, la correction pour l’aberration de la lumière n’est pas parfaite, même dans le plus parfait de tous les organes, l’œil humain. Helmholtz, dont personne ne peut contester le jugement, après avoir décrit dans les termes les plus enthousiastes la merveilleuse puissance de l’œil humain, ajoute ces paroles remarquables : « Ce que nous avons découvert d’inexact et d’imparfait dans la machine optique et dans la production de l’image sur la rétine n’est rien comparativement aux bizarreries que nous avons rencontrées dans le domaine de la sensation. Il semblerait que la nature ait pris plaisir à accumuler les contradictions pour enlever tout fondement à la théorie d’une harmonie préexistante entre les mondes intérieurs et extérieurs. » Si notre raison nous pousse à admirer avec enthousiasme une foule de dispositions inimitables de la nature, cette même raison nous dit, bien que nous puissions facilement nous tromper dans les deux cas, que certaines autres dispositions sont moins parfaites. Pouvons-nous, par exemple, considérer comme parfait l’aiguillon de l’abeille, qu’elle ne peut, sous peine de perdre ses viscères, retirer de la blessure qu’elle a faite à certains ennemis, parce que cet aiguillon est barbelé, disposition qui cause inévitablement la mort de l’insecte ?

Si nous considérons l’aiguillon de l’abeille comme ayant existé chez quelque ancêtre reculé à l’état d’instrument perforant et dentelé, comme on en rencontre chez tant de membres du même ordre d’insectes ; que, depuis, cet instrument se soit modifié sans se perfectionner pour remplir son but actuel, et que le venin, qu’il sécrète, primitivement adapté à quelque autre usage, tel que la production de galles, ait aussi augmenté de puissance, nous pouvons peut-être comprendre comment il se fait que l’emploi de l’aiguillon cause si souvent la mort de l’in-