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282 Instinct.  

avec certaines dispositions de temps ou de lieu, et devenues héréditaires. Mais examinons les différentes races de chiens. On sait que les jeunes chiens couchants tombent souvent en arrêt et appuient les autres chiens, la première fois qu’on les mène à la chasse ; j’en ai moi-même observé un exemple très frappant. La faculté de rapporter le gibier est aussi héréditaire à un certain degré, ainsi que la tendance chez le chien de berger à courir autour du troupeau et non à la rencontre des moutons. Je ne vois point en quoi ces actes, que les jeunes chiens sans expérience exécutent tous de la même manière, évidemment avec beaucoup de plaisir et sans en comprendre le but — car le jeune chien d’arrêt ne peut pas plus savoir qu’il arrête pour aider son maître, que le papillon blanc ne sait pourquoi il pond ses œufs sur une feuille de chou — je ne vois point, dis-je, en quoi ces actes diffèrent essentiellement des vrais instincts. Si nous voyions un jeune loup, non dressé, s’arrêter et demeurer immobile comme une statue, dès qu’il évente sa proie, puis s’avancer lentement avec une démarche toute particulière ; si nous voyions une autre espèce de loup se mettre à courir autour d’un troupeau de daims, de manière à le conduire vers un point déterminé, nous considérerions, sans aucun doute, ces actes comme instinctifs. Les instincts domestiques, comme on peut les appeler, sont certainement moins stables que les instincts naturels ; ils ont subi, en effet, l’influence d’une sélection bien moins rigoureuse, ils ont été transmis pendant une période de bien plus courte durée, et dans des conditions ambiantes bien moins fixes.

Les croisements entre diverses races de chiens prouvent à quel degré les instincts, les habitudes ou le caractère acquis en domesticité sont héréditaires et quel singulier mélange en résulte. Ainsi on sait que le croisement avec un bouledogue a influencé, pendant plusieurs générations, le courage et la ténacité du lévrier ; le croisement avec un lévrier communique à toute une famille de chiens de berger la tendance à chasser le lièvre. Les instincts domestiques soumis ainsi à l’épreuve du croisement ressemblent aux instincts naturels, qui se confondent aussi d’une manière bizarre, et persistent pendant longtemps dans la ligne de descendance ; Le Roy, par exemple, parle d’un chien qui avait