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  Instincts spéciaux. 303

table place, faisant saillie au-delà des cellules déjà construites et achevées. Il suffit que les abeilles puissent se placer à la distance voulue entre elles et entre les parois des dernières cellules faites. Elles élèvent alors une paroi de cire intermédiaire sur l’intersection de deux sphères contiguës imaginaires ; mais, d’après ce que j’ai pu voir, elles ne finissent pas les angles d’une cellule en les rongeant, avant que celle-ci et les cellules qui l’avoisinent soient déjà très avancées. Cette aptitude qu’ont les abeilles d’élever, dans certains cas, une muraille grossière entre deux cellules commencées, est importante en ce qu’elle se rattache à un fait qui paraît d’abord renverser la théorie précédente, à savoir, que les cellules du bord externe des rayons de la guêpe sont quelquefois rigoureusement hexagonales, mais le manque d’espace m’empêche de développer ici ce sujet. Il ne me semble pas qu’il y ait grande difficulté à ce qu’un insecte isolé, comme l’est la femelle de la guêpe, puisse façonner des cellules hexagonales en travaillant alternativement à l’intérieur et à l’extérieur de deux ou trois cellules commencées en même temps, en se tenant toujours à la distance relative convenable des parties des cellules déjà commencées, et en décrivant des sphères ou des cylindres imaginaires entre lesquels elle élève des parois intermédiaires.

La sélection naturelle n’agissant que par l’accumulation de légères modifications de conformation ou d’instinct, toutes avantageuses à l’individu par rapport à ses conditions d’existence, on peut se demander avec quelque raison comment de nombreuses modifications successives et graduelles de l’instinct constructeur, tendant toutes vers le plan de construction parfait que nous connaissons aujourd’hui, ont pu être profitables à l’abeille ? La réponse me paraît facile : les cellules construites comme celles de la guêpe et de l’abeille gagnent en solidité, tout en économisant la place, le travail et les matériaux nécessaires à leur construction. En ce qui concerne la formation de la cire, on sait que les abeilles ont souvent de la peine à se procurer suffisamment de nectar, M. Tegetmeier m’apprend qu’il est expérimentalement prouvé que, pour produire 1 livre de cire, une ruche doit consommer de 12 à 15 litres de sucre ; il faut donc, pour produire la quantité de cire nécessaire à la construction de leurs rayons, que les abeilles récoltent et consomment une énorme masse du