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  Absence de variétés intermédiaires. 355

échelle, plus le nombre des variétés intermédiaires qui ont autrefois existé a dû être considérable. Pourquoi donc chaque formation géologique, dans chacune des couches qui la composent, ne regorge-t-elle pas de formes intermédiaires ? La géologie ne révèle assurément pas une série organique bien graduée, et c’est en cela, peut-être, que consiste l’objection la plus sérieuse qu’on puisse faire à ma théorie. Je crois que l’explication se trouve dans l’extrême insuffisance des documents géologiques.

Il faut d’abord se faire une idée exacte de la nature des formes intermédiaires qui, d’après ma théorie, doivent avoir existé antérieurement. Lorsqu’on examine deux espèces quelconques, il est difficile de ne pas se laisser entraîner à se figurer des formes exactement intermédiaires entre elles. C’est là une supposition erronée ; il nous faut toujours chercher des formes intermédiaires entre chaque espèce et un ancêtre commun, mais inconnu, qui aura généralement différé sous quelques rapports de ses descendants modifiés. Ainsi, pour donner un exemple de cette loi, le pigeon paon et le pigeon grosse-gorge descendent tous les deux du biset ; si nous possédions toutes les variétés intermédiaires qui ont successivement existé, nous aurions deux séries continues et graduées entre chacune de ces deux variétés et le biset ; mais nous n’en trouverions pas une seule qui fût exactement intermédiaire entre le pigeon paon et le pigeon grosse-gorge ; aucune, par exemple, qui réunît à la fois une queue plus ou moins étalée et un jabot plus ou moins gonflé, traits caractéristiques de ces deux races. De plus, ces deux variétés se sont si profondément modifiées, depuis leur point de départ, que, sans les preuves historiques que nous possédons sur leur origine, il serait impossible de déterminer par une simple comparaison de leur conformation avec celle du biset (C. livia), si elles descendent de cette espèce, ou de quelque autre espèce voisine, telle que le C. ænas.

Il en est de même pour les espèces à l’état de nature ; si nous considérons des formes très distinctes, comme le cheval et le tapir, nous n’avons aucune raison de supposer qu’il y ait jamais eu entre ces deux êtres des formes exactement intermédiaires, mais nous avons tout lieu de croire qu’il a dû en exister entre chacun d’eux et un ancêtre commun inconnu. Cet ancêtre commun doit avoir