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  Apparition des espèces nouvelles. 391

habitants avec lesquels l’espèce qui varie se trouve en concurrence. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce qu’une espèce puisse conserver sa forme plus longtemps que d’autres, ou que, si elle se modifie, elle le fasse à un moindre degré. Nous trouvons des rapports analogues entre les habitants actuels de pays différents ; ainsi, les coquillages terrestres et les insectes coléoptères de Madère en sont venus à différer considérablement des formes du continent européen qui leur ressemblent le plus, tandis que les coquillages marins et les oiseaux n’ont pas changé. La rapidité plus grande des modifications chez les animaux terrestres et d’une organisation plus élevée, comparativement à ce qui se passe chez les formes marines et inférieures, s’explique peut-être par les relations plus complexes qui existent entre les êtres supérieurs et les conditions organiques et inorganiques de leur existence, ainsi que nous l’avons déjà indiqué dans un chapitre précédent. Lorsqu’un grand nombre d’habitants d’une région quelconque se sont modifiés et perfectionnés, il résulte du principe de la concurrence et des rapports essentiels qu’ont mutuellement entre eux les organismes dans la lutte pour l’existence, que toute forme qui ne se modifie pas et ne se perfectionne pas dans une certaine mesure doit être exposée à la destruction. C’est pourquoi toutes les espèces d’une même région finissent toujours, si l’on considère un laps de temps suffisamment long, par se modifier, car autrement elles disparaîtraient.

La moyenne des modifications chez les membres d’une même classe peut être presque la même, pendant des périodes égales et de grande longueur ; mais, comme l’accumulation de couches durables, riches en fossiles, dépend du dépôt de grandes masses de sédiments sur des aires en voie d’affaissement, ces couches ont dû nécessairement se former à des intervalles très considérables et irrégulièrement intermittents. En conséquence, la somme des changements organiques dont témoignent les fossiles contenus dans des formations consécutives n’est pas égale. Dans cette hypothèse, chaque formation ne représente pas un acte nouveau et complet de création, mais seulement une scène prise au hasard dans un drame qui change lentement et toujours.

Il est facile de comprendre pourquoi une espèce une fois éteinte ne saurait reparaître, en admettant même le retour de conditions