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566 Récapitulation et conclusions.  

d’avoir introduit dans la science « des propriétés occultes et des miracles ».

Je ne vois aucune raison pour que les opinions développées dans ce volume blessent les sentiments religieux de qui que ce soit. Il suffit, d’ailleurs, pour montrer combien ces sortes d’impressions sont passagères, de se rappeler que la plus grande découverte que l’homme ait jamais faite, la loi de l’attraction universelle, a été aussi attaquée par Leibnitz « comme subversive de la religion naturelle, et, dans ses conséquences, de la religion révélée ». Un ecclésiastique célèbre m’écrivant un jour, « qu’il avait fini par comprendre que croire à la création de quelques formes capables de se développer par elles-mêmes en d’autres formes nécessaires, c’est avoir une conception tout aussi élevée de Dieu, que de croire qu’il ait eu besoin de nouveaux actes de création pour combler les lacunes causées par l’action des lois qu’il a établies. »

On peut se demander pourquoi, jusque tout récemment, les naturalistes et les géologues les plus éminents ont toujours repoussé l’idée de la mutabilité des espèces. On ne peut pas affirmer que les êtres organisés à l’état de nature ne sont soumis à aucune variation ; on ne peut pas prouver que la somme des variations réalisées dans le cours des temps soit une quantité limitée ; on n’a pas pu et l’on ne peut établir de distinction bien nette entre les espèces et les variétés bien tranchées. On ne peut pas affirmer que les espèces entre-croisées soient invariablement stériles, et les variétés invariablement fécondes ; ni que la stérilité soit une qualité spéciale et un signe de création. La croyance à l’immutabilité des espèces était presque inévitable tant qu’on n’attribuait à l’histoire du globe qu’une durée fort courte, et maintenant que nous avons acquis quelques notions du laps de temps écoulé, nous sommes trop prompts à admettre, sans aucunes preuves, que les documents géologiques sont assez complets pour nous fournir la démonstration évidente de la mutation des espèces si cette mutation a réellement eu lieu.

Mais la cause principale de notre répugnance naturelle à admettre qu’une espèce ait donné naissance à une autre espèce distincte tient à ce que nous sommes toujours peu disposés à admettre tout grand changement dont nous ne voyons pas les degrés intermédiaires. La difficulté est la même que celle que