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568 Récapitulation et conclusions.  

les caractères extérieurs de véritables espèces, ils admettent que ces formes sont le produit d’une série de variations et ils refusent d’étendre cette manière de voir à d’autres formes un peu différentes. Ils ne prétendent cependant pas pouvoir définir, ou même conjecturer, quelles sont les formes qui ont été créées et quelles sont celles qui sont le produit de lois secondaires. Ils admettent la variabilité comme vera causa dans un cas, et ils la rejettent arbitrairement dans un autre, sans établir aucune distinction fixe entre les deux. Le jour viendra où l’on pourra signaler ces faits comme un curieux exemple de l’aveuglement résultant d’une opinion préconçue. Ces savants ne semblent pas plus s’étonner d’un acte miraculeux de création que d’une naissance ordinaire. Mais croient-ils réellement qu’à d’innombrables époques de l’histoire de la terre certains atomes élémentaires ont reçu l’ordre de se constituer soudain en tissus vivants ? Admettent-ils qu’à chaque acte supposé de création il se soit produit un individu ou plusieurs ? Les espèces infiniment nombreuses de plantes et d’animaux ont-elles été créées à l’état de graines, d’ovules ou de parfait développement ? Et, dans le cas des mammifères, ont-elles, lors de leur création, porté les marques mensongères de la nutrition intra-utérine ? À ces questions, les partisans de la création de quelques formes vivantes ou d’une seule forme ne sauraient, sans doute, que répondre. Divers savants ont soutenu qu’il est aussi facile de croire à la création de cent millions d’êtres qu’à la création d’un seul ; mais en vertu de l’axiome philosophique de la moindre action formulé par Maupertuis, l’esprit est plus volontiers porté à admettre le nombre moindre, et nous ne pouvons certainement pas croire qu’une quantité innombrable de formes d’une même classe aient été créées avec les marques évidentes, mais trompeuses, de leur descendance d’un même ancêtre.

Comme souvenir d’un état de choses antérieur, j’ai conservé, dans les paragraphes précédents et ailleurs, plusieurs expressions qui impliquent chez les naturalistes la croyance à la création séparée de chaque espèce. J’ai été fort blâmé de m’être exprimé ainsi ; mais c’était, sans aucun doute, l’opinion générale lors de l’apparition de la première édition de l’ouvrage actuel. J’ai causé autrefois avec beaucoup de naturalistes sur l’évolution, sans rencontrer jamais le moindre témoignage sympathique. Il est pro-