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  espèces douteuses. 53

M. B.-D. Walsh, entomologiste distingué des États-Unis, a décrit ce qu’il appelle les variétés et les espèces phytophages. La plupart des insectes qui se nourrissent de végétaux vivent exclusivement sur une espèce ou sur un groupe de plantes ; quelques-uns se nourrissent indistinctement de plusieurs sortes de plantes ; mais ce n’est pas pour eux une cause de variations. Dans plusieurs cas, cependant, M. Walsh a observé que les insectes vivant sur différentes plantes présentent, soit à l’état de larve, soit à l’état parfait, soit dans les deux cas, des différences légères, bien que constantes, au point de vue de la couleur, de la taille ou de la nature des sécrétions. Quelquefois les mâles seuls, d’autres fois les mâles et les femelles présentent ces différences à un faible degré. Quand les différences sont un peu plus accusées et que les deux sexes sont affectés à tous les âges, tous les entomologistes considèrent ces formes comme des espèces vraies. Mais aucun observateur ne peut décider pour un autre, en admettant même qu’il puisse le faire pour lui-même, auxquelles de ces formes phytophages il convient de donner le nom d’espèces ou de variétés. M. Walsh met au nombre des variétés les formes qui s’entrecroisent facilement ; il appelle espèces celles qui paraissent avoir perdu cette faculté d’entrecroisement. Comme les différences proviennent de ce que les insectes se sont nourris, pendant longtemps, de plantes distinctes, on ne peut s’attendre à trouver actuellement les intermédiaires reliant les différentes formes. Le naturaliste perd ainsi son meilleur guide, lorsqu’il s’agit de déterminer s’il doit mettre les formes douteuses au rang des variétés ou des espèces. Il en est nécessairement de même pour les organismes voisins qui habitent des îles ou des continents séparés. Quand, au contraire, un animal ou une plante s’étend sur un même continent, ou habite plusieurs îles d’un même archipel, en présentant diverses formes dans les différents points qu’il occupe, on peut toujours espérer trouver les formes intermédiaires qui, reliant entre elles les formes extrêmes, font descendre celles-ci au rang de simples variétés.

Quelques naturalistes soutiennent que les animaux ne présentent jamais de variétés ; aussi attribuent-ils une valeur spécifique à la plus petite différence, et, quand ils rencontrent une même forme identique dans deux pays éloignés ou dans deux