Page:Darwin - La Descendance de l’homme, 1881.djvu/108

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ils ressentent souvent des injures imaginaires. J’ai vu, au Jardin zoologique, un babouin qui se mettait toujours dans un état de rage furieuse lorsque le gardien sortait de sa poche une lettre ou un livre et se mettait à lire à haute voix ; sa fureur était si violente que, dans une occasion dont j’ai été témoin, il se mordit la jambe jusqu’au sang. Les chiens possèdent ce qu’on pourrait appeler le sentiment de la plaisanterie qui est absolument distinct du simple jeu. En effet, si l’on jette à un chien un bâton ou un objet semblable, il se précipite dessus et le transporte à une certaine distance, puis il se couche auprès et attend que son maître s’approche pour le reprendre ; il se lève alors et s’enfuit un peu plus loin en triomphe pour recommencer le même manège, et il est évident qu’il est très heureux du tour qu’il vient de jouer.

Passons maintenant aux facultés et aux émotions plus intellectuelles, qui ont une plus grande importance en ce qu’elles constituent les bases du développement des aptitudes mentales plus élevées. Les animaux manifestent très évidemment qu’ils recherchent la gaieté et redoutent de l’ennui ; cela s’observe chez les chiens, et, d’après Rengger, chez les singes. Tous les animaux éprouvent de l’étonnement, et beaucoup font preuve de curiosité. Cette dernière aptitude leur est quelquefois nuisible, comme, par exemple, lorsque le chasseur les distrait par des feintes et les attire vers lui en affectant des poses extraordinaires. Je l’ai observé pour le cerf ; il en est de même pour le chamois, si méfiant cependant, et pour quelques espèces de canards sauvages. Brehm nous fait une description intéressante de la terreur instinctive que ses singes éprouvaient à la vue des serpents ; cependant, leur curiosité était si grande qu’ils ne pouvaient s’empêcher de temps à autre de rassasier, pour ainsi dire, leur horreur d’une manière des plus humaines, en soulevant le couvercle de la boîte dans laquelle les serpents étaient renfermés. Très étonné de ce récit, je transportai un serpent empaillé et enroulé dans l’enclos des singes au Jardin zoologique, où il provoqua une grande effervescence ; ce spectacle fut un des plus curieux dont j’aie jamais été témoin. Trois Cercopithèques étaient tout particulièrement alarmés ; ils s’agitaient violemment dans leurs cages en poussant des cris aigus, signal de danger qui fut compris des autres singes. Quelques jeunes et un vieil Anubis ne firent aucune attention au serpent. Je plaçai alors le serpent empaillé dans un des grands compartiments. Au bout de quelques instants, tous les singes formaient un grand cercle autour de l’animal, qu’ils regardaient fixement ; ils présentaient alors l’aspect le plus comique. Mais ils étaient surexcités au plus haut de-