Page:Darwin - La Descendance de l’homme, 1881.djvu/117

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cule ; ils aiment la plaisanterie ; ils ressentent l’étonnement et la curiosité ; ils possèdent les mêmes facultés d’imitation, d’attention, de délibération, de choix, de mémoire, d’imagination, d’association des idées et de raisonnement, mais, bien entendu, à des degrés très différents. Les individus appartenant à une même espèce représentent toutes les phases intellectuelles, depuis l’imbécillité absolue jusqu’à la plus haute intelligence. Les animaux supérieurs sont même sujets à la folie, quoique bien moins souvent que l’homme[1].

Néanmoins beaucoup de savants soutiennent que les facultés mentales de l’homme constituent, entre lui et les animaux, une infranchissable barrière. J’ai recueilli autrefois une vingtaine d’aphorismes de ce genre ; mais je ne crois pas qu’ils vaillent la peine d’être cités ici, car ils sont si différents et si nombreux qu’il est facile de comprendre la difficulté, sinon l’impossibilité d’une semblable démonstration. On a affirmé que l’homme seul est capable d’amélioration progressive ; que seul, il emploie des outils et connaît le feu ; que seul, il réduit les autres animaux en domesticité et a le sentiment de la propriété ; qu’aucun autre animal n’a des idées abstraites, n’a conscience de soi, ne se comprend ou possède des idées générales ; que l’homme seul possède le langage, a le sens du beau, est sujet au caprice, éprouve de la reconnaissance, est sensible au mystère, etc., croit en Dieu, ou est doué d’une conscience. Je hasarderai quelques remarques sur ceux de ces points qui sont les plus importants et les plus intéressants.

L’archevêque Sumner[2] a autrefois soutenu que l’homme seul est susceptible d’amélioration progressive. Personne ne conteste que l’homme fait des progrès beaucoup plus grands, beaucoup plus rapides qu’aucun autre animal, ce qui résulte évidemment du langage et de la faculté qu’il a de transmettre à ses descendants les connaissances qu’il a acquises. En ce qui regarde l’animal, et d’abord l’individu, tous ceux qui ont quelque expérience en matière de chasse au piège savent que les jeunes animaux se font prendre bien plus aisément que les vieux ; l’ennemi qui poursuit un animal peut aussi s’approcher plus facilement des jeunes. Il est même impossible de prendre beaucoup d’animaux âgés dans un même lieu et dans une même sorte de trappe, ou de les détruire au moyen d’une seule espèce de poison ; il est, cependant, improbable que tous aient goûté au poison ; il est impossible que tous aient

  1. Docteur W. Lauder Lindsay, Madness in animals, dans Journal of Mental Science, juillet 1871.
  2. Cité par sir C. Lyell, Antiquity of Man, p. 497.