Page:Darwin - La Descendance de l’homme, 1881.djvu/133

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tique chez toutes les nations appartenant à une même race. À en juger par les ornements hideux et la musique non moins atroce qu’admirent la plupart des sauvages, on pourrait conclure que leurs facultés esthétiques sont à un état de développement inférieur à celui qu’elles ont atteint chez quelques animaux, les oiseaux par exemple. Il est évident qu’aucun animal ne serait capable d’admirer une belle nuit étoilée, un beau paysage ou une musique savante ; mais ces goûts relevés dépendent, il ne faut pas l’oublier, de l’éducation et de l’association d’idées complexes, et ne sont appréciés ni par les barbares, ni par les personnes dépourvues d’éducation.

La plupart des facultés qui ont le plus contribué à l’avancement progressif de l’homme, telles que l’imagination, l’étonnement, la curiosité, le sentiment indéfini du beau, la tendance à l’imitation, l’amour du mouvement et de la nouveauté, ne pouvaient manquer d’entraîner l’humanité à des changements capricieux de coutumes et de modes. Je fais allusion à ce point, parce qu’un écrivain[1] vient, assez étrangement, de désigner le caprice, « comme une des différences typiques les plus remarquables entre les sauvages et les animaux ». Or nous pouvons non seulement comprendre comment il se fait que l’homme soit capricieux, mais prouver, ce que nous ferons plus loin, que l’animal l’est aussi dans ses affections, dans ses aversions, dans le sentiment qu’il a du beau. En outre, il y a de bonnes raisons de supposer que l’animal aime la nouveauté pour elle-même.


Croyance en Dieu. – Religion. – Rien ne prouve que l’homme ait été primitivement doué de la croyance à l’existence d’un Dieu omnipotent. Nous possédons, au contraire, des preuves nombreuses que nous ont fournies, non par des voyageurs de passage, mais des hommes ayant longtemps vécu avec les sauvages, d’où il résulte qu’il a existé et qu’il existe encore un grand nombre de peuplades qui ne croient ni à un ni à plusieurs dieux, et qui n’ont même pas dans leur langue, de mot pour exprimer l’idée de la divinité[2]. Cette question est, cela va sans dire, distincte de celle d’ordre plus élevé, de savoir s’il existe un Créateur maître de l’univers, question à laquelle les plus hautes intelligences de tous les temps ont répondu affirmativement.

Toutefois, si nous entendons par le terme religion la croyance

  1. The Spectator, 4 déc. 1869, p. 1430.
  2. Voir sur ce sujet un excellent article du rév. F.-W. Farrar, dans Anthropological Review, août 1864, p. ccxvii. Pour d’autres faits, voir sir L. Lubbock, Prehistoric Times, 2e éd. 1869, p. 564, et surtout les chapitres sur la religion dans son Origin of Civilisation, 1870.