Page:Darwin - La Descendance de l’homme, 1881.djvu/142

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qui traversaient une vallée ; une partie avait déjà gravi la montagne opposée, les autres étaient encore dans la vallée. Ces derniers furent attaqués par des chiens ; aussitôt les vieux mâles se précipitèrent en bas des rochers, la bouche ouverte et poussant des cris si terribles que les chiens battirent en retraite. On encouragea ceux-ci à une nouvelle attaque, mais dans l’intervalle tous les babouins avaient remonté sur les hauteurs, à l’exception toutefois d’un jeune ayant six mois environ, qui, grimpé sur un bloc de rocher où il fut entouré, appelait à grands cris à son secours. Un des plus grands mâles, véritable héros, redescendit la montagne, se rendit lentement vers le jeune, le rassura, et l’emmena triomphalement, — les chiens étaient trop étonnés pour l’attaquer. Je ne puis résister au désir de citer une autre scène qu’a observée le même naturaliste : un jeune cercopithèque, saisi par un aigle, s’accrocha à une branche et ne fut pas enlevé d’emblée ; il se mit à crier au secours ; les autres membres de la bande arrivèrent en poussant de grands cris, entourèrent l’aigle, et lui arrachèrent tant de plumes, qu’il lâcha sa proie et ne songea plus qu’à s’échapper. Brehm fait remarquer avec raison que désormais cet aigle ne se hasardera probablement plus à attaquer un singe faisant partie d’une troupe[1].

Il est évident que les animaux associés ressentent des sentiments d’affection réciproque, qui n’existent pas chez les animaux adultes non sociables. Il est plus douteux qu’ils éprouvent de la sympathie pour les peines ou les plaisirs de leurs congénères, surtout pour les plaisirs. M. Buxton a pu, toutefois, constater, grâce à d’excellents moyens d’observation[2], que ses perroquets, vivant en liberté dans le Norfolk, prenaient un intérêt considérable à un couple qui avait un nid ; ils entouraient la femelle « en poussant d’effroyables cris pour l’acclamer, toutes les fois qu’elle quittait son nid. » Il est souvent difficile de juger si les animaux éprouvent quelque sentiment de pitié pour les souffrances de leurs semblables. Qui peut dire ce que ressentent les vaches lorsqu’elles entourent et fixent du regard une de leurs camarades morte ou mourante ? Il est probable, cependant, que, comme le fait remarquer Houzeau, elles ne ressentent aucune pitié. L’absence de toute sympathie chez les

  1. M. Belt raconte que dans une forêt du Nicaragua il entendit un ateles crier pendant deux heures de suite ; il finit par s’approcher et vit un aigle perché sur une branche tout auprès du singe. L’oiseau semblait hésiter à attaquer le singe tant que celui-ci le regardait bien en face. M. Belt, qui a étudié avec tant de soin les habitudes des singes de ce pays, croit pouvoir affirmer qu’ils vont toujours par groupes de deux ou trois pour se défendre contre les aigles. The Naturalist in Nicaragua, 1874, p. 118.
  2. Annals and Mag. of Nat. History, nov. 1868, p. 382.