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bouin en captivité pour le punir, les autres cherchaient à le protéger. Ce devait être la sympathie qui poussait, dans les exemples que nous venons de citer, les babouins et les cercopithèques à défendre leurs jeunes camarades contre les chiens et contre l’aigle. Je me bornerai à citer un seul autre exemple de conduite sympathique et héroïque de la part d’un petit singe américain. Il y a quelques années, un gardien du Jardin zoologique me montra quelques blessures profondes, à peine cicatrisées, que lui avait faites au cou un babouin féroce, pendant qu’il était occupé à côté de lui. Un petit singe américain, grand ami du gardien, vivait dans le même compartiment, et avait une peur horrible du babouin. Néanmoins, dès qu’il vit son ami le gardien en péril, il s’élança à son secours, et tourmenta tellement le babouin, par ses morsures et par ses cris, que l’homme, après avoir couru de grands dangers pour sa vie, put s’échapper.

Outre l’amour et la sympathie, les animaux possèdent d’autres qualités que chez l’homme nous regardons comme des qualités morales, et je suis d’accord avec Agassiz[1] pour reconnaître que le chien possède quelque chose qui ressemble beaucoup à la conscience.

Le chien a certainement un certain empire sur lui-même, et cette qualité ne paraît pas provenir entièrement de la crainte. Le chien, comme le fait remarquer Braubach[2] s’abstient de voler des aliments en l’absence de son maître. Depuis très longtemps, on regarde les chiens comme le type de la fidélité et de l’obéissance. L’éléphant est aussi très fidèle à son gardien qu’il regarde probablement comme le chef de la troupe. Le Dr Hooker m’a raconté qu’un éléphant sur lequel il voyageait dans l’Inde s’enfonça un jour si complètement dans une tourbière qu’il lui fut impossible de se dégager et qu’on dut l’extraire le lendemain à grand renfort de cordes. Dans ces occasions les éléphants saisissent avec leur trompe tout ce qui est à leur portée, chose ou individu, et le placent sous leurs genoux pour éviter d’enfoncer davantage dans la boue. Aussi le cornac craignait-il que l’animal ne saisît le Dr Hooker pour le placer au-dessous de lui dans la tourbière. Quant au cornac lui-même, il n’avait absolument rien à craindre : or, cet empire sur soi-même, dans une circonstance si épouvantable pour un animal très pesant, est certainement une preuve étonnante de noble fidélité[3].

Tous les animaux vivant en troupe, qui se défendent l’un l’autre,

  1. De l’espèce et de la Classe, 1869, p. 97.
  2. Die Darwin’sche Art-Lehre, 1869, p. 54.
  3. Voir aussi Hooker, Himalayan Journals, vol. II, 1854, p. 383.